Jean-Christophe Norman, le versant pictural

 


 

Mais le plus intrigant, le plus déroutant, c’était, au centre du tableau, une masse noire,

longue, souple, monstrueuse, une chose qui planait au-dessus de trois lignes verticales

d’un bleu pâle comme suspendues dans une écume indéfinissable.

Tout cela était boueux, pâteux, visqueux, et pour tout dire de nature à faire perdre la raison

à un spectateur nerveux. Pourtant, il se dégageait de la toile une sorte de sublimité indéfinie,

une grandeur à peine imaginable qui vous figeait presque sur place…

et l’on venait malgré soi à se jurer de découvrir la signification de cette surprenante peinture. »

Herman Melville, Moby-Dick, ou, Le Cachalot, 1851.[1]

 

« Ce n’est cependant dans aucune de ces couleurs que j’allais. J’allais dans le jaune. En plein milieu.

Et le fleuve était là — fascinant — mortel — comme un serpent. »

Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, 1899[2].

 

 

« L’ivresse dans laquelle la métamorphose avait commencé, les couleurs plus opaques que lumineuses

s’estompèrent, le faux or s’effrita. Comme si les limites étaient emportées

dans un tourbillon, pareilles à des feuilles mortes. (…)

Un contraste déchirant se révéla, entre un désert tombant en ruines et la marche de l’éternité. »

Hans Henny Jahnn, Le Navire de bois, 1934-1936[3].

 

 


 
 

            Tout roman recèle un versant pictural.

                        Est-ce au terme — provisoire — d’une expérience critique et d’observations vagabondes d’une œuvre et de son paysage singulier ? Est-ce au long cours — continu — de plus d’une décennie de rencontres, d’échanges sur le vif et de conversations régulières avec Jean-Christophe Norman ? Est-ce ces heures dévouées au dialogue et à la surprise visuelle autant que littéraire, qui, patiemment, construisirent, dans ma relation interrogative, ce compagnonnage attentif — sans lâcher prise — envers un travail de solitude plongé-ouvert au cœur urgent du quotidien anonyme et bruissant d’un monde vécu par l’artiste telle une étendue ample et contingente, nécessaire et vitale ? Je dirai de surcroît : un compagnonnage persévérant, d’expositions personnelles en expositions collectives, de visites amicales à l’ancien appartement-atelier de Besançon aux lieux divers des marches et des recopies urbaines défaisant des récits romanesques rendus au réel, au paysage sonore de la vie. Ainsi ce fut — c’est — un compagnonnage jamais lassé toujours curieux à l’égard d’une œuvre impatiente d’elle-même et lente à la fois, d’une profusion simultanée, en forme de réécritures manuscrites sur maintes surfaces offertes par la tradition artistique et par la vie contemporaine, en forme de marches dont la raison et le « protocole » interne dessinent une avidité de liberté et une mise à satiété du corps dans un paysage, de recouvrements graphites ou picturaux des mêmes surfaces — parfois — ou de couvertures et de pages de livres, de magazines, de cartes gommées à blanc, de papier journal, de feuilles A4 ; une œuvre en forme de « projets » performatifs et voyageurs en attente ou en désir d’une fin potentielle, retardée, qui, peut-être, ne viendra pas — la vie est un aléa, une « circonstance de hasard », auxquels le geste de l’artiste, aussi métamorphique soit-il, ne peut rien, sinon s’y fondre. Ce fut — c’est — aussi un compagnonnage parallèle vis-à-vis d’une œuvre qui, jamais autant que toute autre, ne se « vit » et ne se conçoit si intimement à la manière du « work in progress » joycien, un compagnonnage vis-à-vis d’une nécessité artistique hantée par le souffle, par le vide, par la mort, par la saturation d’un plein fragile et éphémère, hantée par l’écriture, hantée par la ligne horizon fugitive et mobile, hantée par la littérature, hantée par la phrase résistante qui la fonde et la matérialise, hantée par la bibliothèque borgésienne dont Jean-Christophe Norman serait le visiteur ou le passeur ou le (re)lecteur contemporain, au rythme de ce même contemporain faisant feu de tout bois, confondant avec jouissance mélange et métamorphose, pris qu’il est dans les rets tantôt déliés tantôt resserrés d’une durée compulsive, intranquille du mortel maintenant, de l’instant présentiste inactuel[4], et d’un temps géographique à l’échelle monde d’un globe terrestre aussi infini de paysages vulnérables qu’étroits d’horizons dénudés et illusoires. C’est au bout de toutes ces phrases accumulées, tangentes, sinueuses, de ces paroles volantes, oubliées, légères, que j’atteins cette phrase. Tout roman recèle un versant pictural. Accompagnée, à la conclusion moderne de toute forme littéraire, de sa face imprimée et de son double matériel : tout livre expose un versant pictural. Tout livre peut naître d’« étendues décisives où se joue la climatologie d’un texte, sa météorologie intérieure[5] ». Jean-Christophe Norman ouvre exactement la vision non seulement à la plasticité intrinsèque du texte et à sa multiplicité de sens — l’expérience toujours en cours qu’est la ligne phrase à la craie blanche d’Ulysse, a long way, d’après Joyce, en est le témoin —, mais aussi à cette « climatologie », à cette « météorologie intérieure », à une géomorphologie visuelle et perspective, tant horizontale que verticale, sans aucune tentation ou lien de mimésis[6], juste à cet endroit instable du réel que le romancier Peter Handke appelle « l’heure de la sensation vraie[7] » et « à cet instant où [pour l’écrivain.e] décrire devient exactement synonyme de (dé)peindre[8] ».

 


 

 

Tout roman recèle un versant pictural : ce seraient alors des images de lecture, solitaires, répétées, mystérieuses, détachées de la narration, inquiètes, désertiques, marines, fluviales, terrestres, montagneuses, vertigineuses. Ce seraient comme ces « images de pensée » racontées, entre passé d’un récit enfoui et présent d’un souvenir pictural, par Walter Benjamin. Ce sont les bookscapes réalisés par l’artiste depuis 2019. Ces livres tirés de la bibliothèque, ramassés, trouvés, écornés, jaunis, ouverts en leur milieu, cassés en plein pli. Ces derniers cachent leur couverture, leur titre et leur auteur originels. Ils ont pris un nom autre, un titre autre : Bookscape (William Burrough) ; Bookscape (Theodore W. Adorno) ; Bookscape (Rubens) ; Bookscape (Franz Kafka) ; Bookscape (Thucydide) ; Bookscape (René Daumal) ; Bookscape (Novalis) ; Bookscape (Friedrich Nietzsche) ; Bookscape (Léonard de Vinci) ; Bookscape (Rudyard Kipling)… Qui en sont désormais les auteurs ? Jean-Christophe Norman en prononcerait-il la disparition, ne leur laissant qu’une place tombale dans l’espace creux d’une parenthèse ? Ces seascapes — ces images souvenirs, ces images picturales — se montrent dans leur présent de livres-paysages, fixés désormais dans une nouvelle existence, stratifiés depuis l’écriture (cachée) jusqu’à l’image peinte recouvrante, conservant l’aspect antérieur du volume, maintenant quasi sculptural. Des doubles pages devenant diptyques, dont le texte littéraire a été estompé sous les couches et traces de couleurs, et le passage délicat et modulé de l’encaustique – cette antique technique à la cire servant de liant. Tout roman recèle un versant pictural… C’est ce versant « peint » latent, potentiel, disponible, à l’affût dans le souvenir, que Jean-Christophe Norman fait venir ou revenir à la surface même de la surface du livre, de ses pages, détachée de la couverture. Concrètement. Mais ce long travail de métamorphose du littéraire vers le pictural, de la lettre vers la peinture dit aussi qu’il n’y a pas de surface vierge, qu’il n’y a pas de surface sans histoire, sans récit. Il n’y a pas de création ex-nihilo, hors du temps. Il n’y a que du temps, que de la durée, des géologies de possibles et, peut-être, des généalogies imprévues. Peindre par-dessus la littérature. Peindre par-dessus l’écriture imprimée. Signifier une surface par-dessus une surface saturée de signes, d’événements narratifs, de concepts, de méditations, de descriptions, d’imaginaires : le paysage peint par Jean-Christophe Norman s’opère dans un abstrait palpable, une répétition du motif et l’épaisseur picturale, dans la variation claire ou obscure de bleus de Prusse ou de jaunes brun terrestre ou solaires. C’est une forme de paysage lecteur, qui doit et ne doit rien à son sous-sol littéraire. La peinture de Jean-Christophe Norman est lecture et, dans un mouvement renversé : la lecture est peinture. L’artiste se fait lecteur peintre ou peintre lecteur, rendant au visible la sensation privée de la lecture. Un paysage sensoriel apparaît, affleurement du rêve intime et imagé du lecteur ou de la lectrice à venir. 

 

 

 

 

Très vite, très tôt, avec Jean-Christophe Norman nous avons parlé d’écriture(s). C’était à Metz, au Frac Lorraine, en décembre 2006. Il y écrivait le temps de l’horloge baudelairienne[9], grâce au truchement mécanique d’un clavier d’ordinateur. Ses doigts couraient littéralement après la ligne numérique du jour, du mois, de l’année, des heures, des minutes, des secondes, qui s’inscrivaient à la vitesse irrégulière, mais sans halte, de sa main concentrée, sur l’écran virtuel, durant Un jour Une nuit.

L’écriture puis la littérature puis la bibliothèque puis le livre furent nos points originels de jonction et de compréhension. Notre dialogue fut successivement tourné vers les formes et les possibles de l’écriture, vers une « physique contemporaine de l’écriture[10] », son inscription, son effacement, son (in)visible sensible sur des supports passagers, transitoires, et sous des matières mêlant l’encre, le pictural et le trait, mais également un dialogue axé vers le corps de l’écrivain, ou le corps écrivant, la fatigue de la main — celle de l’artiste, celle de l’auteur.e —, vers la durée dans l’écriture, de l’écriture comme ligne sans fin, comme dessin, comme folle exigence, comme solitaire impératif[11]. Nous avions comme « bréviaire » commun, entre autres, le court et l’un des derniers textes de Marguerite Duras, Écrire, publié en 1993. Et sa phrase finale, qui me semblait coller à l’énigme de la recherche humaine et esthétique de l’artiste Jean-Christophe Norman : « L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie[12]. » 

 

Notre dialogue autour de la peinture fut précoce, dans le même temps que celui autour de la ligne. Il resta, cependant, longtemps dans la pudeur, voire la réticence. Quelques références, quelques souvenirs — vite tus — pointaient : Léonard de Vinci, Cy Twombly, William Turner. Être prêt à parler de peinture, l’accepter et s’y reconnaître, faire sien et accomplir l’axiome posé par Léonard dans son Trattato, « cette composition incomplète[13] » et fragmentaire rebaptisée « Traité de la peinture » : « (…) j’en dirai autant de tous les arts qui ont besoin de la main du scribe ; et l’écriture est du même genre que le dessin, qui est partie de la peinture[14] », Jean-Christophe Norman en aborda les prémices par une longue digression littéraire et temporelle, lorsque la peinture se cachait « derrière » la ligne d’écriture manuscrite (souvent au Marker® noir), lorsqu’elle se présentait à la manière des arrière-fonds paysagers et montagneux caractéristiques des tableaux des maîtres de la Renaissance italienne. Encore une fois, Léonard de Vinci en est le « modèle ». La ligne d’écriture était ici le motif central — et non pas la figure —, d’une toile de jute grand format, travaillée déjà à l’huile et l’encaustique, par une matière picturale presque fantomatique, à l’effet flottant, ivre, brouillé, un voile pudique ombré ou en clair-obscur : ce fut le magnifique triptyque picturo-romanesque dans lequel l’artiste convoqua trois auteurs et romans essentiels de sa bibliothèque personnelle : Sans titre (Au cœur des ténèbres Joseph Conrad), 2010, Sans titre (Le Navire de bois Hans Henny Jahnn), 2010, et Sans titre (La Mort de Virgile Hermann Broch), 2011. 

 


 

Puis, quelques années plus tard, Jean-Christophe Norman déploya son désir de peinture dans un face-à-face visuel apaisé et explicite, lors de son exposition monographique au Frac Franche-Comté, Biographie, en 2014 : là il procéda à l’accrochage sériel et frontal – dans la tradition des artistes conceptuels comme Hanne Darboven — de La Recherche (de Proust) réécrite entièrement au stylo sur des feuilles A4, piquées sur le mur blanc muséal, face à l’installation dispersée de plus de deux cents tableaux de petit format — transportables au cours de marches — révélant une peinture de paysages et de souvenirs de lumière, de villes traversées, une peinture de la durée et des temps retrouvés, une peinture « mentale » dans la conception léonardienne, et abstraite, nommée également Biographie. Une « peinture proustienne », bien sûr, qui en appelait au goût survivant du souvenir visuel ou lumineux. Ce face-à-face défit l’appréhension. La peinture s’acceptait, dans une modulation paysage, dans une forme de ressouvenirs de sensations, de lumières captées, ressenties, saisies, persistantes à l’œil-durée. La face picturale se dévoilait, à distance de l’écriture. L’œuvre de Jean-Christophe Norman trouva, ainsi et aussi, son lieu et son lien entre peinture et littérature, entre écriture et dessin, entre la page et la toile, entre un avers romanesque et un revers pictural.

 

Tout est face et surface, prêtes, en leur recto et en leur verso… Il y a donc ce passage par la littérature et ce qui matériellement la constitue, la fait exister, pour naître à la peinture, et inventer un temps pictural propre. Le roman — comme récit — et le livre — comme support, surface, liant — se font « corps hôte » de la dépense picturale, surface d’accueil, aplat préparatoire d’hospitalité. Sans plus de retenue. L’acmé en cours de cette « traversée artistique » se déploie aujourd’hui dans les trois « fresques picturales » réalisées en 2020 par Jean-Christophe Norman, dans le silence d’un confinement, dans la mémoire visuelle des marches solaires et de réécriture du projet « Picasso Méditerranée » (2019) qui mena l’artiste de Rome à Barcelone, de Madrid à Malaga, de Marseille à Nice… : Seascape (Moby-Dick), Landscape (Fleuve sans rives), Seascape (Au cœur des ténèbres). Face contre face, littérature et peinture s’unissent. Loin des anciennes correspondances des arts du renaissant Ut pictura poesis ou de leur séparation d’objets édictée par Gotthold E. Lessing dans son Lacoon ou des frontières respectives de la poésie et de la peinture (1766-1768). Page après page, le paysage s’invente en un versant pictural. Voir ainsi le tableau contemporain d’un roman. Et savoir que l’horizon de la peinture peut être la littérature en sa qualité visuelle.

 


 

 


 


 

La littérature accompagne Jean-Christophe Norman. Le livre l’accompagne. Ce sont ses compagnons de voyage, de marches, de traversées. Ce sont ses compagnons de peinture. Littérature et livre sont l’indispensable revers de son engagement d’artiste, l’autre frémissement vital, l’autre paysage, l’autre versant du travail. Les auteur.es sont des ami.es de vie : Jorge Luis Borges, Thomas Bernhard, Hans Henny Jahnn, Marguerite Duras, Pierre Guyotat, Hermann Broch, James Joyce, Marcel Proust, René Daumal, Joseph Conrad, Franz Kafka... D’autres se sont immiscés dans la bibliothèque et invités dans l’œuvre comme en 2016 Friedrich Dürrenmatt, dont Jean-Christophe Norman réécrivit la dernière phrase de chacun des livres de la bibliothèque de l’auteur de La Visite de la vieille dame (1956) et de l’autobiographique La Mise en œuvre (1981)[15], ou, en 2020, Herman Melville avec Seascape ou Bookscape (Moby Dick), Cervantès avec Cover (Don Quichotte) ou Rimbaud avec également une Cover (Rimbaud – œuvres complètes). Leurs textes sont des défis, les livres et les éditions qui les « honorent », les couvertures et les pages — celles précieuses des éditions de La Pléiade ou celles ordinaires d’éditions usées, usagées, trouvées au hasard des rues — qui les portent sont des conquêtes de papier, une appropriation amoureuse, iconoclaste, hérétique, par l’encre, l’huile et la couleur, l’encaustique, le graphite, du livre, de ses espaces et de ses paysages de lignes. Jean-Christophe Norman les fit et les fait entrer dans sa surface, son périmètre de marche, dessiné ou pictural, indéfini. Et soudain, ils — les livres —, elle — la littérature — se font substrat de l’œuvre. Et la littérature permet la peinture, l’autorise, la libère. Et le livre — devenu image d’une totalité romanesque au bout de toutes ses opérations plastiques — soutient le paysage, pictural. À la façon d’une toile. Le livre devient tableau et peinture. En fragment de page, en diptyque, en fresques. Il devient le lieu de l’horizon retrouvé, celui que Jean-Christophe Norman vit, enfant, dans un tableau de Léonard de Vinci, au Musée du Louvre : La Vierge, L’Enfant Jésus et Sainte Anne, que le peintre toscan débuta en 1501 et laissa inachevé à sa mort. Le jeune visiteur fut attiré par le paysage montagneux d’un bleuté lointain, découpé par une ligne de crête, d’où se détachent les figures bibliques. Cet arrière-fond ouvre le tableau vers un autre récit, le paysage indistinct se fait sensation pure, mouvement, possibilité, mobilité. Jean-Christophe Norman fait revenir cet instant du là-bas pictural devant. Il peut, alors, dire la peinture. Il peut montrer la peinture.

 


Annecy, 18 novembre 2020 - Paris, 16 janvier 2021.



[1] Herman Melville, Moby-Dick, ou le Cachalot, traduit de l’américain par Philippe Jaworski, Œuvres III, Bibliothèque de La Pléiade, Paris, 2006, Éd. Gallimard, chap. III, p. 31.

[2] Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, traduit de l’anglais par Jean Deurbergue, Paris, 1985, coll. « L’imaginaire », Éd. Gallimard, p. 23.

[3] Hans Henni Jahnn, Le Navire de bois, Fleuve sans rives I, traduit par René Radrizzani, Paris, 2007, Librairie José Corti, p. 128

[4] « Éternel peut-être, ce présent […] n’en est pas moins avide ou anxieux d’historicisation, comme s’il était contraint de se projeter en avant de lui-même pour se regarder tout aussitôt comme déjà passé, oublié. Pour conjurer l’insupportable incertitude de ce qui arrive ? Rappelons-nous le régime de l’événement contemporain, qui inclut d’emblée son autocommémoration, qui est déjà cette commémoration. Mais, contradictoirement en apparence, ce présent dilaté, chargé de sa double dette, de sa mémoire double du passé et de l’avenir, est aussi guetté par l’entropie. L’instant, l’éphémère, l’immédiat le happent et l’amnésie seule peut être son lot. Tels sont les principaux traits de ce présent multiforme et multivoque : un présent monstre. Il est à la fois tout (il n’y a que du présent) et presque rien (la tyrannie de l’immédiat). » C’est ainsi que l’historien François Hartog définit le régime d’historicité contemporain qu’il nomme « présentisme ». In Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, 2003, Éd. du Seuil, coll. La Librairie du xxie siècle, p. 217.

[5] Maylis de Kerangal, Chromes, 2020, Éd. IMEC, p.16.

[6] Ce qu’Erich Auerbach explore comme objet de réflexion philologique, une « interprétation du réel à travers la représentation (ou “imitation” littéraire (…) », in « Postface », Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, traduit de l’allemand par Cornélius Heim, Paris, 1968, Éd. Gallimard, coll. Tel, p. 549.

[7] Peter Handke, L’Heure de la sensation vraie, traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmidt, Paris, Éd. Gallimard, 1977.

[8] Op. cit., p. 16.

[9] « Trois mille six cents fois par heure, la Seconde / Chuchote : Souviens-toi ! — Rapide, avec sa voix / D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois, / Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde ! », Charles Baudelaire, « L’horloge », Les Fleurs du mal, 1861.

[10] Marjorie Micucci, « Jean-Christophe Norman : physique contemporaine de l’écriture », Artpress, mai-juin 2020.

[11] Marjorie Micucci, « Entretien avec Jean-Christophe Norman », in Les Circonstances du hasard, Éditions Frac Franche-Comté, 2012, p. 85-92.

[12] Marguerite Duras, Écrire, Paris, 1993, Éd. Gallimard, p. 65.

[13] André Chastel, « Introduction », Léonard de Vinci, Traité de la peinture, textes traduits et commentés par André Chastel, Paris, 2003, Éd. Calmann-Lévy, p. 20.

[14] Léonard de Vinci, Codex urbinas, 19 v, in Traité de la peinture, ibidem, p. 57.

[15] Exposition Matières, Centre Dürrenmatt Neuchâtel, 2 octobre 2016-26 février 2017. Jean-Christophe Norman, Matières Stoffe, Cahier n° 14, 2016, Centre Dürrenmatt éditeur.

 

      Ce texte a été publié dans l'ouvrage Jean-Christophe Norman: Brouhaha, Manuella Éditions, Paris, 2021. Cette monographie accompagne l'exposition Brouhaha, FRAC PACA, 16 octobre 2021-16 janvier 2022 et a été coproduite par le Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur, la Galerie C Neuchâtel-Paris, avec le soutien du Frac Picardie Hauts-de-France, de la société Milhe & Avons, de la Fondation Jan Michalski et de l'Association C.


Les images sont de Jean-Christophe Norman. © DR.

 

« Cover » (Moby Dick) », encre et graphite sur papier, 2020.

 

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