Approches de Colette Brunschwig
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
Ô, Suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— Ô l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! – »
Arthur Rimbaud, « Voyelles », 1871.
Nous avons rencontré pour la première fois Colette Brunschwig une après-midi du mois de mai 2017. Ce fut chez elle, dans son appartement parisien. Il s’ensuivit, avec beaucoup de retenue et une forme rare d’urgence dans le témoignage confié, des entretiens ou, peut-être plus exactement, des conversations régulières, parfois reportées, puis reprises, puis impatientes ; des conversations libres de toute chronologie, souvent imprévisibles, parfois déroutantes, déjouant ce que l’entretien d’artiste peut avoir, parfois, d’habituel ou de commun. Des conversations précieuses qui rythmèrent ainsi la fin du printemps et les jours de l’été de cette année, au cours desquelles Colette Brunschwig observa, raconta, témoigna par bribes, au gré de correspondances et de rapprochements apparemment déconcertants, avec une intensité pudique, digressa, oublia, reprit, cita, dériva, précisa, retint, interrogea, ferma autant qu’elle ouvrit à sa mémoire comme à celle des temps noirs du xxe siècle ou à notre temps présent d’incertitude. Une seule fois elle nous accueillit à son atelier du XIVe arrondissement, rue de Ridder. Là, Colette Brunschwig s’assit face à la haute fenêtre d’où provenait la lumière pâle, brouillée du jour déclinant, le dos tourné au travail d’une vie depuis la fin des années 1940, le dos obstinément tourné à son œuvre, à ses tableaux peints à l’acrylique, à ses encres aux gris pluriels conjurant le noir, aux bruns ébauchés, légers, délavés, appuyés, venus du brou de noix, aux pochoirs inquiétants, à ses sombres lavis tendus d’une extrême clarté interne, à ses pinceaux usés d’encre et d’eau, à ses matériaux hétérogènes mêlés qui furent les outils de motifs, de textures et de profondeurs, à ses papiers amoncelés, au liant antique de caséine fixant le pigment, à ses formes verticales, circulaires ou semi-circulaires, obliques, surgissant d’un fond si lointain, se superposant, se répétant, se croisant, émergeant tel un moment possible de la matière picturale, de la matière encre, à la fois fragiles, spectrales et extrêmement présentes, obsédantes. Colette Brunschwig regardait au-dehors et en dehors, vers l’intériorité et vers l’espace. Elle regarda la lumière allant vers le couchant, avant de refaire son cycle naturel vers le levant.
Ouvrir par un poème d’Arthur Rimbaud ce texte, fait d’approches à la fois de biographie artistique et intellectuelle et de « sujets » picturaux et formels, c’est donner le ton, le sens et la couleur de ces conversations. Rimbaud, pour qui la couleur en sa polychromie déclinée mot sur mot donne sens aux images poétiques (2), Colette Brunschwig le mentionne souvent, souvent et même uniquement cite ce poème-là, « Voyelles », daté de 1871, le fait venir et revenir dans sa voix et dans sa réflexion sur les signes, les valeurs (le noir, le blanc) et les couleurs, dans sa pensée de la forme glissant vers l’informe sans s’y résoudre et sans s’y dissoudre, dans sa longue préoccupation tout autant symbolique que géographique, voire cosmique, du sens de l’Occident au couchant et de l’Orient au levant, de la fin et du commencement, des fins et des recommencements d’un monde des Lumières et de la raison défait, et d’une peinture moderne qui, à l’orée du xxe siècle, sut dire plastiquement l’espace devenu fragmenté et dilaté, qui sut rendre visuelles la vitesse et les métamorphoses des temporalités de la modernité, qui sut rendre sensibles les nouvelles perceptions spatiales et temporelles de ce monde nouveau, mécanisé, industriel, urbanisé, technologique, total ; une peinture moderne qui, des cubismes aux abstractions des avant-gardes et au surréalisme, sera ostracisée par les totalitarismes de l’entre-deux-guerres. Colette Brunschwig relève une absence dans ce célèbre poème de Rimbaud associant éléments alphabétiques et images chromatiques : « C’est curieux, dans les couleurs de Rimbaud, il n’y a pas de jaune. Il n’y a pas la lumière. La lumière, c’est l’ensemble de toutes les couleurs (3). » Cette lumière picturale amassée de couleurs, reflets du ciel et de l’eau et du monde jusqu’à la stagnation, jusqu’à l’immobilité du réel, elle la trouvera chez un contemporain de l’auteur des Illuminations : Claude Monet. Celui d’Impression, soleil levant (1872), celui, surtout, de l’œuvre ultime des Nymphéas (1914-1926).
Dès ses années d’apprentissage parisien (4) chez André Lhote, entre 1946 et 1949, Colette Brunschwig découvre et s’approprie la figure initiatrice de Monet. Cela passe par une réflexion sur la peinture et la représentation du réel dont la jeune artiste retiendra l’enseignement : « [André Lhote] a été l’un des premiers à montrer et à expliquer que la peinture, ce n’était pas simplement reproduire la réalité, que la peinture était quelque chose de réel. Il a ouvert une autre possibilité. Ne plus penser que la peinture servait à reproduire le réel. La photographie remettait en cause la peinture ainsi conçue. Face à cette idée, Lhote affirmait que ce n’était pas parce que la photographie s’imposait que la peinture ne servait plus à rien. Cela nous a permis de penser qu’il y avait une autre façon de peindre que de reproduire la réalité. Cela renvoyait à la question de l’abstraction. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à étudier Monet. Je crois que, la première fois que je suis allée à Giverny, c’était pendant cette période où j’étais chez André Lhote. À Giverny, j’ai vu quelque chose d’extraordinaire. J’ai vu la fin de la peinture et à quel point Monet était un peintre d’avant-garde. Monet a construit le réel à partir de la peinture qu’il faisait. Le réel venait de la peintre (5). » Colette Brunschwig s’inscrit à la fois dans le droit-fil des débats sur l’abstraction, la représentation picturale et sa disparition tels qu’ils se sont développés avant guerre et de leur réactualisation en 1944-1947 (6). Et elle ajoute, ce qui pourrait apparaître une évidence, mais qui structure toute sa pensée artistique et ses choix formels ultérieurs : « L’artiste est celui qui donne forme (7). »
Colette Brunschwig témoigne donc par la forme, avant toute chose, et la couleur est forme, même et comme chez Monet, d’où le rapport conflictuel que l’artiste entretient avec le noir et le blanc, a contrario des peintres de sa génération comme Pierre Soulages, André Marfaing ou Pierrette Bloch : « Pour répondre aux années blanches (8), les artistes ont peint en noir et blanc, sauf Yves Klein qui a peint en bleu. Pourquoi le bleu ? Pourquoi peindre en bleu ? Qu’est-ce que le bleu par rapport au noir et au blanc ? Le noir et le blanc sont des valeurs, le bleu est une couleur. Il y a une division entre valeurs et couleurs. Le noir et le blanc sont des extrémités. Le bleu, c’est la fin du rouge. Pendant ces années, le blanc et le noir allaient remplacer la couleur, le rouge, le bleu. Klein a décrit l’extrême de la couleur ; Soulages, Marfaing, Jackson Pollock, entre autres, ont décidé d’utiliser le noir et le blanc, la valeur. Ils ont alors coupé le lien qui existait entre la valeur et les couleurs. J’ai choisi le gris, c’est-à-dire ni l’un ni l’autre (9) .»
Le gris est la réponse formelle de Colette Brunschwig au vide pictural qui se présente à elle, et qui trouvera une résolution provisoire, partielle, personnelle, par sa découverte tardive de l’art des peintres lettrés chinois du xie siècle : « Dans leurs grands lavis, les artistes chinois ne donnent pas une image de ce qu’ils voient, mais une image de ce que représente l’art. C’est-à-dire une forme avec l’informe », explique Colette Brunschwig lors d’une conversation, le 26 juin 2017. Et en une sorte de boucle liant Occident et Orient, elle retrouve Monet à la fois sur la question de la couleur et de la forme. « La poésie a une forme ; le roman a une forme », écrit Maurice Blanchot en ouverture de « La pensée et l’exigence de discontinuité », dans L’Entretien infini, ajoutant en note de bas de page : « Ou, pour mieux dire, la poésie, le roman est forme, mot qui alors, loin de rien éclairer, porte le tout de l’interrogation » (10). L’œuvre de Colette Brunschwig se place dans ce « tout de l’interrogation ». Et l’artiste témoigne, certes, par la forme, mais interroge avant toute chose par la forme, sinon par la parole de l’étude, sinon par la parole discrète du souvenir, d’images souvenirs. Une parole vacillée qu’elle veut précise et garde modeste. Une parole intime, longtemps laissée cachée à l’intérieur de l’énigme des motifs qu’elle explore incessamment, une parole aussi exprimée avec urgence, embrassant l’histoire de l’art et de la peinture, embrassant la conscience moderne née d’une fin – celle de la représentation –, d’une perte – celle de la troisième dimension –, d’une extension inédite – celle d’un nouvel espace-temps –, d’une dissociation – celle du fond et de la forme, précisément –, d’une destruction – celle du livre et du peuple juif. Une forme que Colette Brunschwig, dans son apprentissage précoce et d’un « classicisme » moderne d’un vocabulaire pictural, cherche pour dire cela, simplement et uniquement cela. Une forme aux lisières de l’indéfinissable abstrait qui la lie, elle qui eut 20 ans en 1947, à la jeune génération des peintres français de l’après-guerre recouvrant la liberté, ou à cette « nouvelle avant-garde », selon l’expression d’Annie Claustres (11), qui va s’affirmer, entre autres, autour de Pierre Soulages, Georges Mathieu, Jean Atlan, Gérard Schneider, Wols, Hans Hartung. Une génération à laquelle il faut ajouter, bien sûr, Yves Klein, dont Colette Brunschwig fut proche tout comme elle le fut de Pierre Soulages.
Une forme sensible, inquiète d’elle-même, palpable, profondément physique et matérielle, s’arc-boutant sur les notions d’apparition et de disparition, de contraction et d’extension, de respiration et d’expiration, d’un retour par les bords de la surface, là où, selon la formule heureuse de Jean Bollack, « l’abstraction s’y abstrait (12) ». Une forme se positionnant, dès son début, dans la sphère de l’abstrait sans pour autant s’y conclure ou s’y abandonner ou céder à une tendance ; une forme qui tient davantage d’une présence de l’espace que du seul motif ; une forme se tenant de façon constante, au long des décennies, dans les zones d’un intermédiaire qui la rend libre de tous les centres de l’histoire de l’art en France des années 1950 à l’époque contemporaine, mais qui, malgré une réception critique toujours présente, la maintient aux marges d’une réelle reconnaissance.
Il s’agira pour l’artiste de commencer – sa formation artistique dans la France de l’immédiat après-guerre – et de recommencer – la peinture après les traumatismes des années 1939-1945 –, en un double mouvement du geste pictural ; il s’agit de retrouver et de revenir et de continuer. Commencer à devenir et à être peintre, et recommencer à peindre, retrouver une troisième dimension redessinant un espace de nouveau conquis par l’être humain et par l’artiste, savoir s’il y a un retour possible du peuple juif après la Shoah, après une longue sortie vers le monde qui fut diaspora d’assimilation et la forme de sa disparition au milieu du xxe siècle, le clôturant à une identité fermée, assignée, toujours désignée comme « question » irrésolue et problématique (13).
Approches – ou « moments (14) » – de Colette Brunschwig, égrené(e)s au fil d’un récit troué d’oublis et court-circuitant cette chronologie linéaire, rassurante, chère aux historiens de l’art, et au rythme de la parole, souvent pleine d’humour, de l’artiste ; une parole peuplée de la scène artistique parisienne des années 1950 et 1960 – nous l’avons vu précédemment –, qui se réinvente, qui se redéfinit, s’éparpille, se singularise autour des débats vifs sur l’abstraction picturale, géométrique ou lyrique ou informelle ou expressionniste, où les artistes femmes, pourtant nombreuses, sont alors de grandes absentes, de grandes silencieuses (15), à quelques exceptions près comme Maria Vieira da Silva, avec ses réseaux actifs et fertiles de nouvelles galeries que l’on dit d’avant-garde (Colette Allendy, Jeanne Bucher, Denise René), de marchands d’art et de collectionneurs (16), avec ses revues critiques ; une parole généreuse de ses compagnonnages de peintres (Pierre Soulages, André Marfaing, Árpád Szenes, Pierre Courtin, Louis Cordesse, Yves Klein, Léon Zack, Lee Ungno) et où, précisément, les artistes femmes rencontrées, comme Jeanne Coppel, Marcelle Cahn, Ida Karskaya, Pierrette Bloch, n’apparaissent pas ou peu ; une parole nourrie par l’enseignement et la pensée d’Emmanuel Lévinas (17), l’étude de l’hébreu et du Talmud ; une parole fidèle à la poésie – celle de René Char, d’Henri Michaux, d’André du Bouchet, d’Emily Dickinson, d’Ossip Mandelstam, de François Cheng, de Paul Celan, entre autres ; une parole dialoguant du judaïsme et de son devenir ainsi que de sa peinture avec le philologue et helléniste Jean Bollack (1923-2012) (18), ami de Celan. Si nous voulions pointer une approche de genre, il est certain que la voix de Colette Brunschwig, comme son art, se confronte et se mesure à une parole artistique, intellectuelle et critique masculine. Elle est à la fois une voix indépendante, solitaire, et en quête d’un dialogue pour continuer. Mais, profondément, c’est une voix prise par le moment de témoigner du plus douloureux, de l’unique question initiatrice pour l’artiste, de témoigner du questionnement de toute une vie, que l’œuvre picturale et dessinée creuse sans répit, en un souffle coupé et repris, en un souffle complexe et singulier, évidant le temps de tout anecdotique.
Moments intermédiaires – « intermédiaire » est un adjectif récurrent chez Colette Brunschwig, parce que, dans bien des situations personnelles ou collectives, nous serions dans un entre du temps, d’une forme, d’une histoire, d’une couleur, d’un événement, de l’être. Moments intermédiaires pour Colette Brunschwig entre dit et caché, entre parole et silence, entre valeurs et couleurs, entre noir plat sur surface blanche et gris de profondeur, de nuance, de subtilité, de liberté, entre peinture abstraite occidentale et philosophie lévinassienne du visage d’autrui, entre peinture et histoire, entre peinture et textes de la Torah et du Talmud discutés par le Commentaire de Rachi, entre peinture et signes calligraphiques signifiants étudiés auprès des artistes lettrés chinois des xie et xiie siècles rapportés à la sémantique de la langue hébraïque, entre dissolution de l’image après l’invention de la photographie (ce que Colette Brunschwig nomme « pellicule universelle ») et conquête d’un nouvel espace grâce à une troisième dimension retrouvée, entre Claude Monet l’impressionniste et Malevitch le suprématiste (19) entre Orient et Occident. Moments intermédiaires d’une vie dédiée à l’art et à l’étude, moments intermédiaires d’une œuvre continue de 1946 à aujourd’hui, traversant mouvements et courants abstraits et informels à l’intérieur d’une grande acuité de correspondances, traversant les abstractions de l’école de Paris et celles de l’école de New York, en évacuant, comme nombre de ses contemporains, toutes catégorisations critiques.
Une vie et une œuvre naissant d’un trauma (20), et ainsi une vie et une œuvre contemporaines d’un vide qui semble le seul sujet qu’il soit possible de peindre – cela serait le « sujet » pictural d’une génération –, que, le peignant, on puisse emplir, non pas effacer mais défier par la matière ; une vie et une œuvre chercheuses alors d’un plein à recommencer loin des atermoiements destructeurs d’un Occident faillible, en osmose avec un Orient regardé comme métaphore d’un possible début à partir d’une essence du vide autre, qui n’est pas ce manque, ce néant, cette absence d’être, laissée sans voix et sans image après le désastre, par l’anéantissement, par les camps de concentration et d’extermination nazis, par la disparition humaine, de son corps et de sa figure, de son visage et de son Verbe, et de sa langue. La question sera lancinante, sera à la fois une et plurielle : Qu’est-il arrivé ? Que nous est-il arrivé ? Pourquoi ? Et puis : Que peut l’art après ? Que pouvons-nous après, nous qui dans l’avant sommes demeurés insouciants, enivrés de modernité, irresponsables, incrédules, ou indifférents, ou complices ? Que peut l’artiste après, alors qu’elle, Colette Brunschwig, fut emportée par l’immédiateté de la fuite et de la survie devant l’invasion des forces armées allemandes jusqu’à sa ville natale du Havre bombardée (21), par l’exode de juin 1940 jusqu’à Agen (22), ville d’un provisoire et fragile répit, par la peur quotidienne dans une France occupée dont le gouvernement à Vichy édicte et applique avec célérité les lois antijuives promulguées en 1940, 1941, 1942 (23) ; elle qui fut confrontée à ce pourquoi effarant face à l’extermination, systématiquement organisée, des Juifs d’Europe, dont sa famille fut victime. Colette Brunschwig est au cœur et à l’intérieur de l’histoire mondiale européenne, là, de Drancy à Auschwitz-Birkenau, puis à Hiroshima ; là où, perdant son humanité, l’Europe – l’Occident – perdit sa forme, et l’œuvre dessinée et picturale que la jeune artiste débute dès 1946-1947, qu’elle expose pour la première fois en 1949 chez la marchande d’art Marcelle Berr de Turique (24), puis à partir de 1952 chez la galeriste parisienne Colette Allendy, n’aura de cesse d’y trouver un possible, d’y retrouver un possible d’histoire, un possible de forme, un possible d’existence. Reprendre par l’art alors que l’on a connu la fin, reprendre par l’abstrait – par un abstrait libre du signe, du trait, de la tache, d’un tremblé de couleur, des zones intermédiaires que sont les gris de l’artiste –, parce que la figure – même si visage lévinassien de l’autre homme ou peut-être à cause de cela – ne pouvait plus être, pour l’artiste, que celle de la mort et de la disparition.
« Mon
temps, mon fauve, qui pourra / Plonger au fond de tes prunelles ? / Qui de
son sang recollera, / Les vertèbres de deux siècles ? »
(Ossip Mandelstam, 1922) (25)
Les conversations que nous avons eues avec Colette Brunschwig sont aujourd’hui des témoignages, mais l’artiste appartient moins à ce que l’historienne Annette Wieviorka nomme « l’ère du témoin (26)» et de la mémoire, que les années 1980 ont affirmée ou privilégiée (27), qu’au temps long, à la fois philosophique et historique, du pourquoi, et ne se situe pas non plus dans la volonté d’un Jean Fautrier du témoignage immédiat pour exorciser au plus près le traumatisme des horreurs de la guerre, du témoignage à tout prix, impératif sommé à l’œuvre, pour débusquer à vif le silence imposé aux morts et aux vivants, lorsqu’il peint, dès 1943-1944, la série des Otages ou, en 1945, Oradour-sur-Glane ; ou d’un Olivier Debré mû par l’exigence d’inscrire plastiquement, dès 1945 également, ce qui sera l’un des grands récits philosophiques, littéraires et esthétiques de l’après-guerre, l’innommable (28), l’irreprésentable de la barbarie révélée des camps d’extermination, à travers des gouaches noir et blanc, radicales, telle que Le Mort de Dachau, ou des séries au fusain et à l’encre qu’il décline et nomme sur les motifs de « l’assassin, le mort et son âme ».
L’œuvre de Colette Brunschwig, si aujourd’hui elle se dévoile comme témoignage, d’un moment de l’histoire européenne, d’un moment de la peinture occidentale, est avant tout l’« héritière » de la modernité et son « témoin » critique, comme elle est toujours le « lieu » actuel d’une interrogation et d’un constat présents de l’effacement – des effacements – de l’être, avec cette possibilité, « malgré tout », d’une forme pour revenir – hors de la béance ouverte en héritage par le xxe siècle. Si Colette Brunschwig est fascinée par le Claude Monet des Nymphéas, c’est qu’elle voit en lui l’artiste qui a anticipé par sa peinture la modernité comme fin d’un monde. « Les œuvres de Monet n’ont plus aucune valeur (29). Si vous regardez les Nymphéas, c’est une bataille extraordinaire avec les couleurs. Monet utilise la peinture pour parler de l’état du monde (30). » Peindre « pour parler de l’état du monde »… Et par cela, Colette Brunschwig est encore et toujours contemporaine, notre contemporaine, selon la définition tracée par Giorgio Agamben, dans Qu’est-ce que le contemporain ? : « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps (31). » « Celle », donc… et qui n’eut de cesse de le regarder et de le restituer à notre regard, dans un entrecroisement saturé des formes, des textures et des matières, parfois dissoutes, parfois résistant à l’absorption de cet obscur que sont chez Colette Brunschwig les fonds cachés, dissimulés ou seuls à la surface de la toile ou du papier.
Ainsi, l’artiste aurait -elle, au bout de toutes études, pour « sujet » cette modernité occidentale qu’elle voit et conçoit comme l’obscur (32), comme temps inexorable d’un obscurcissement, d’un effacement, d’un aboutissement, dont il s’agit de sortir par la quête picturale, par un travail au plus profond de la matière sensible de la couleur, des gris, de zones de densité ou de la fluidité aqueuse des encres sur le papier comme des rapports de superposition et de couches sur la toile. Par le retour de la forme – qu’elle apparaisse balbutiante, dilatée, compressée, ornementale, survivante, sidérée, paysagère, éphémère telle l’eau... Et, par cela, Colette Brunschwig est plus que tout celle qui aura cherché, plastiquement et par une réflexion personnelle, à résoudre autant qu’à réconcilier le fond (dans toutes les acceptions du terme) et les sens de la forme, « cet ultime accord du fond et de la forme (33) » que, toujours, elle voit chez le dernier Monet des Nymphéas, et dont elle hérite. Et à rendre une image dans sa plus palpable étrangeté et inquiétude et faille, à l’intérieur de ce que Samuel Beckett posait comme infinie et précise demande : « Où maintenant ? Quand maintenant ? Qui maintenant (34)? »
* Nous voudrions adresser nos vifs remerciements à Colette Brunschwig pour la confiance et les longues heures d’entretien qu’elle nous a accordées. Nous voudrions également remercier Arieh et Raphaël Brunschwig pour leur disponibilité et pour nous avoir, maintes fois, ouvert l’atelier de l’artiste.
Enfin, nous voudrions remercier tout particulièrement Mme Mayotte Bollack pour son témoignage, et Mmes Mireille et Sophie Mezei-Kastler pour leur généreux accueil et témoignage, et pour nous avoir permis de consulter les archives d’Imre Pan.
(1) En référence au titre de l’ouvrage de Stéphane Mosès, Approches de Paul Celan, édition établie et présentée par Jean-Yves Masson, Lagrasse, Verdier, 2015.
(2) Un passage de « L'outre-couleur » d’Yves Bonnefoy en donne et en traduit toute l’intensité dans la poésie rimbaldienne : « La couleur ! Prenant un peu de champ par rapport à cet été de 1870, il ne me sera pas difficile d’en rappeler l’extraordinaire importance chez Rimbaud, la poussée toujours forte et toujours rapidement décisive. Certes, dans les poèmes qui ont fait suite à “Nina”, toujours ces beaux sonnets de la fugue vers la Belgique, cette présence de la couleur s’est marquée, encore un moment, d’une façon qui demeure traditionnelle, celle de la peinture en Europe jusqu’au seuil de l’impressionnisme. Dans “Au Cabaret-Vert”, que j’ai déjà tant cité, le rose, le blanc, les jaunes du beurre, de la bière ou du rayon “arriéré” jouent un rôle visible, produisent un bel effet de “pittura chiara”, mais c’est en se composant avec harmonie. Toutefois, nous savons aussi que Rimbaud éprouvait alors un sentiment de bonheur, de naissance nouvelle, l’harmonie des tons n’en était qu’un signe, dans cette belle lumière ; et vite “L’Éclatante Victoire de Sarrebruck” – qui décrit une “gravure belge brillamment coloriée”, est-il précisé – souligne de celle-ci et même accentue la polychromie cette fois brutale, un flamboiement des tons sous un “soleil noir” qui en rehausse le dur éclat. » Yves Bonnefoy, « L’outre-couleur », in Notre besoin de Rimbaud, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La Librairie du xxie siècle, 2009, p. 360.
(3) Conversation avec Colette Brunschwig, 26 juin 2017.
(4) Quand elle arrive à Paris, en 1945, Colette Brunschwig se présente à l’Académie Julian, ou ce qu’il en reste. Elle y demeure très peu de temps. Elle s’inscrit entre 1946 et 1949 à l’atelier d’André Lhote, puis à celui de Jean Soubervie, lié à l’École des Beaux-Arts de Paris et que fréquentera également Pierrette Bloch.
(5) Conversation avec Colette Brunschwig, 8 juin 2017. Ajoutons que cette valorisation de Monet par l’artiste s’inscrit dans le cadre de la redécouverte et de la réhabilitation du peintre impressionniste, notamment de son œuvre ultime, par la jeune génération de peintres abstraits français et américains (Barnett Newman, Clyfford Still, Mark Rothko) et par la critique au cours des années 1950. En 1952, le musée Monet à l’Orangerie rouvre et les panneaux des Nymphéas de nouveau visibles font écrire à André Masson – que Colette Brunschwig apprécie – que ceux-ci sont la « Sixtine de l’impressionnisme », dans un article au titre éloquent : « Monet le fondateur », Verve, 1952, vol. VII, n° 27-28, p. 68. En 1959, Léon Degand, créateur en 1946 du prix Kandinsky, défenseur de l’art géométrique, tout en refusant le clivage binaire entre abstraction et figuration, publie chez Skira une monographie de Monet rédigée avec Denis Rouart. Voir également les textes de Clement Greenberg : « American Type Painting » (1955), « The Later Monet » (1957) ; trad. de l’anglais par Christine Savinel et Ann Hindry, in Clement Greenberg, Écrits choisis des années 1940 – Art et Culture, introduction et notes par Katia Schneller, Paris, Macula, 2018.
(6) Voir Georges Roque, Qu’est-ce que l’art abstrait ? Une histoire de l’abstraction en peinture (1860-1960), Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2003, p. 205-279.
(7) Conversation avec Colette Brunschwig, 26 juin 2017.
(8) Colette Brunschwig qualifie d’« années blanches » la période entre 1945 et 1949, marquée par la sidération et le vide laissés par la guerre.
(9) Conversation avec Colette Brunschwig, 8 août 2017.
(10) Maurice Blanchot, « La pensée et l’exigence de discontinuité », in L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 1.
(11) Annie Claustres, « Peindre une liberté nouvelle. Paris, 1945-1949 », in Éric de Chassey et Sylvie Ramond (dir.), Repartir à zéro, comme si la peinture n’avait jamais existé (1945-1949), cat. exp., Paris, Hazan, 2008, p. 75-81.
(12) Jean Bollack, Au jour le jour, Paris, PUF, 2013, p. 514.
(13) Voir Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, Paris, Gallimard, 1946 ; lire Emmanuel Levinas, « Être juif », paru dans la revue Confluences en 1947, en réponse à Sartre ; rééd. in Être juif, suivi d’une lettre à Maurice Blanchot, préface de Danielle Cohen-Levinas, Paris, Payot & Rivages, coll. « Rivages poche », 2015. Maurice Blanchot, « L’indestructible », in L’Entretien infini, op. cit., p. 180-200.
(14) En 1946, l’artiste américain Barnett Newman peint Moment, tableau au format vertical qu’une large bande de couleur jaune pâle traverse en son centre, sur un fond de bruns, de verts, de gris et de blancs mêlés. C’est dans ce sens plastique aussi que nous parlons de « moments » à propos de Colette Brunschwig, une forme qui fait espace plus ou moins étendu sur la surface de la toile, créant un entre et une présence, une lumière et un mouvement. Brunschwig reprend fréquemment ce motif du « moment ». Ainsi, en 1985, de façon très proche de l’œuvre de Newman, avec un papier collé sur toile, Sans titre, où la large bande verticale de couleur crème griffée de gris et de bruns écarte un fond d’un noir brun profond.
(15) Voir Catherine Gonnard et Élisabeth Lebovici, « De la Libération à mai 1968 », in Femmes artistes, artistes femmes. Paris, de 1880 à nos jours, Paris, Hazan, 2007, p. 235-305.
(16) Voir Julie Verlaine, « La tradition de l’avant-garde : les galeries d’art contemporain à Paris de la Libération à la fin des années soixante », thèse de doctorat sous la direction de Pascal Ory, université Paris I-Sorbonne, 2008.
(17) En 1947, Emmanuel Levinas est nommé directeur de l’École normale israélite orientale, qui se situe rue d’Auteuil, dans le XVIe arrondissement, près du domicile familial de Colette Brunschwig après guerre. Chaque samedi, après le service shabbatique, à l’oratoire de l’école, pendant une heure, Levinas donne « ce que l’on appelle les “cours Rachi” », cours d’initiation et d’herméneutique talmudiques. Voir Marie-Anne Lescourret, Emmanuel Levinas, Paris, Flammarion, coll. « Grandes biographies », 1994, 2e éd. 2006, p. 139-140.
(18) « Je parle à Colette Brunschwig de mon “Benjamin”, des Juifs de Prague et de leur allemand, de Brod et de l’évangéliste qu’il fut. Je suis resté, après notre conversation, pour regarder cette fois avec elle ses peintures récentes, ce qu’elle avait autour d’elle.
« Avec Levinas, pense-t-elle, la philosophie est venue à son terme. Il n’y a pas eu d’après. “Nous vivons, vous et moi, dans un univers intermédiaire. Autre chose va se produire, on ne sait pas quoi (on ne sait pas non plus ce qu’il adviendra de l’État d’Israël) – entre le galouth et le rassemblement” ; elle ne parlait pas ainsi, il y a quelques années.
« Je suis très impressionné par ce qu’elle fait. Levinas, quand il était venu la voir, lui disait : “j’avoue que je ne connaissais pas” (disant par là : “c’est autre chose” ou : “ça existe”). Je dis, moi : “je vois” ; c’est sans doute vrai. Je lui dis devant une grande toile que l’abstraction s’y abstrait. » Jean Bollack, « X 2881 – 11 XII 2010 », in Au jour le jour, op. cit.
(19) Il y a ce texte important écrit par Colette Brunschwig sur l’espace chez Malevitch, « L’ultime progression », édité en 1970 dans Les Feuillets de morphèmes, dirigés par le critique d’art d’origine hongroise Imre Pan (1904-1972), venu en France à la fin des années 1950. Colette Brunschwig fera partie du cercle d’artistes soutenus par Pan à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Celui-ci lui permettra d’exposer à la galerie La Roue, dans le 6e arrondissement, du 11 mars au 3 avril 1971.
(20) Éric de Chassey, « Après la table rase », in Repartir à zéro…, op. cit., p. 19-31.
(21) Colette Brunschwig naît le 3 mars 1927 au Havre, dans une famille juive alsacienne originaire de Colmar et de Mulhouse. Son père travaille pour l’une des renommées et florissantes compagnies d’importation de café. Occupée dès le printemps 1940, la ville et le port sont bombardés à partir de mai. De nombreux Havrais et Havraises sont contraint.e.s à l’exode. La famille Brunschwig traverse par bac l’estuaire de la Seine pour rejoindre le sud et assiste au bombardement de la raffinerie de Port-Jérôme. « Un beau matin eut lieu le bombardement de Port-Jérôme et des raffineries du Havre, spectaculaire, tout en couleurs, mais, à midi, il faisait nuit à cause des fumées provenant du brasier qu’était Le Havre. Il y avait un nuage absolument incroyable de feu […], une nuée énorme dans le ciel. Je n’avais jamais vu cela. Nous étions en mai 1940. J’avais 13 ans. J’avais fini mon enfance. J’ai quitté l’enfance. » Conversation avec Colette Brunschwig, 25 mai 2017.
(22) Après avoir rejoint les Pyrénées jusqu’à Hendaye, la famille Brunschwig se réfugie à Agen, dans le Lot-et-Garonne, qui, jusqu’en novembre 1942, est en zone libre. Colette Brunschwig s’initie au dessin et à la peinture. À l’école où elle est inscrite à la rentrée de 1940, elle suit les cours de dessin de Mlle Lambert, ancienne élève de l’École des Beaux-Arts de Paris. Elle acquiert les notions de base du dessin : « Elle m’a donné la structure de ce que l’on apprenait avant guerre aux Beaux-Arts de Paris » (conversation avec Colette Brunschwig, 25 mai 2017). Une fois par semaine, par ailleurs, Colette Brunschwig prend des cours de peinture auprès de Gustav Böhm (1885-1974), peintre juif d’origine tchèque également réfugié à Agen. Il appartient à ce que l’on a appelé avant guerre l’« école de Munich ». C’est avec lui que Colette Brunschwig se familiarise avec les techniques et matière picturales, avec la manière de tenir la palette et les pinceaux.
(23) Après le débarquement allié en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, la zone libre est envahie par les armées allemandes et italiennes. Les rafles de familles juives par la milice française se multiplient. La famille Brunschwig est alors cachée par la famille catholique pratiquante de Jacqueline Chambron, amie d’école de l’artiste, d’abord dans le grenier de leur maison à Agen, puis en Auvergne jusqu’à la fin de la guerre. Dans les années 1950, Jacqueline Chambron se tourne vers les religions orientales. En 1965, elle rencontre Lilian Silburn (1908-1993), spécialiste du bouddhisme, du shivaïsme du Cachemire et du tantrisme, et l’assiste dans ses travaux et son enseignement. C’est Jacqueline Chambron qui, en 1969, donne à lire à Colette Brunschwig son article sur « Le vide chez saint Jean de la Croix », dans le numéro 6 de la revue Hermès – Le Vide. Expérience spirituelle en Occident et en Orient –, où l’artiste découvre un texte de Marinette Bruno, « Le Vide à la source de l’inspiration des peintres lettrés de la Chine ancienne, d’après Nicole Vandier-Nicolas » (note tirée d’une conversation avec Colette Brunschwig, 26 juin 2017). À propos des influences des peintres lettrés chinois, notamment Mi Fu, sur l’œuvre de l’artiste, lire dans ce volume Maël Bellec, « La veine chinoise et ses ambiguïtés».
(24) « Dans la famille, nous n’avions aucun lien avec le monde de l’art, mais nous avions des liens avec une femme qui s’appelait Marcelle Berr de Turique qui avait été avant guerre la galeriste de Raoul Dufy. […] Elle a été la première personne qui a accepté de m’exposer. À Paris, au bout de l’avenue de Miromesnil, elle avait installé une galerie dans son appartement. Là-bas, j’ai rencontré plein de gens » (conversation avec Colette Brunschwig, 15 août 2017). Cette première exposition personnelle s’intitulait « Les portes ». Le témoignage de l’artiste est symptomatique de l’effervescence des galeries durant cette période. À la fin des années 1920, Marcelle Berr de Turique (1894-1991) transforme une librairie de prêt de livres d’art en galerie, le Portique. Elle y expose Chana Orloff, Chagall, Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, et surtout Raoul Dufy. Après la guerre, elle reprend ses activités de galeriste et de marchande d’art, et soutient Nicolas de Staël, Serge Poliakoff, Roger Bissière, Vieira da Silva, et surtout Jeanne Coppel (1896-1971). Dans les années 1950, elle aidera à la constitution de la collection contemporaine de peintures françaises du musée Bezalel, à Jérusalem, le futur musée d’Israël. C’est donc également par l’intermédiaire de Marcelle Berr de Turique que Colette Brunschwig exposera pour la première fois à Jérusalem, en 1962. Voir Marcelle Berr de Turique, Je les ai connus : Chagall, Dufy, Valadon…, édition nouvelle, revue, annotée, augmentée de lettres inédites d’artistes, préface de Fanny Guillon-Laffaille, postface de Georges Coppel, Paris, L’Harmattan, 2003.
(25) Extrait du poème « Le siècle », cité par Ralph Dutli, in Ossip Mandelstam, mon temps, mon fauve (une biographie), Paris/Genève, Le bruit du temps/La Dogana, 2012, p. 9.
(26) Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Paris, Fayard/Pluriel, coll. « Pluriel », 2013.
(27]) Ainsi l’important essai de l’historien américain Yosef Hayim Yerushalmi, Zakhor. Jewish History and Jewish Memory, a paru en 1982, traduit en français en 1984 ; le film documentaire de Claude Lanzmann, Shoah, tourné entre 1976 et 1981, sort en France en 1985 ; le livre témoignage de l’écrivain italien Primo Levi sur sa déportation à Auschwitz en janvier 1944, Si c’est un homme, est publié pour la première fois en traduction française en 1987, soit quarante ans après sa publication – confidentielle et sans écho – en Italie. Dans son ouvrage Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps (Paris, Éditions du Seuil, coll. « Librairie du xxie siècle », 2003), François Hartog montre comment les années 1980 ont marqué un tournant dans l’écriture de l’histoire et le passage à un régime d’historicité fondé sur un présent permanent (le « présentisme »), qui se donne comme unique « horizon d’attente » la catastrophe et comme « champ d’expérience » des passés, la mémoire, le patrimoine, la commémoration. Le témoin comme l’archive devenant les figures centrales de cette nouvelle configuration de temporalité que réclame ou que peut se donner une époque ne se concevant que dans l’éternel et linéaire instant.
(28) Il suffirait, par exemple, de relire la trilogie écrite en français par Samuel Beckett : Molloy (1947-1948), Malone meurt (1947-1948) et L’Innommable (1949).
(29) C’est-à-dire : ni blanc ni noir.
(30) Conversation avec Colette Brunschwig, 8 juin 2017.
(31) Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, traduit de l’italien par Maxime Rovere, Paris, Payot/Rivages, coll. « Rivages poche/Petite Bibliothèque », 2008, p. 22.
(32) Voir Colette Brunschwig, Sur Claude Monet, texte daté de 1960, publié pour la première fois dans la revue Lignes, n° 38, novembre 1999, p. 126.
(33) Ibid., p. 129.
(34) Samuel Beckett, L’Innommable, Paris, Éditions de Minuit, 1953, coll. « Double », 2004, p. 7.
Ce texte a paru dans la première monographie consacrée à Colette Brunschwig: Colette Brunschwig. Peindre l'ultime espace – Painting the Ultimate Space, Paris, Manuella Éditions, 2021. Avec le soutien de la galerie Jocelyn Wolff (Paris-Romainville).
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