Jean-Christophe Norman : physique contemporaine de l’écriture

Jean-Christophe Norman, Seascape (Moby Dick), étude, 2020.

 

« Et ce silencieux tumulte dort

Au cœur de l’un des livres de la calme

Bibliothèque. Il dort et il attend. »

Jorge Luis Borges, « Un livre », Histoire de la nuit (1977)

 

 

    

                    À la fin du mois de janvier 2012, Jean-Christophe Norman s’enfermait dans les espaces du musée Géo-Charles, à Échirolles[1]. Dans le silence du lieu et la solitude d’un geste scriptural performatif caché au regard de tout visiteur, l’artiste réécrivit à la main, au Marker® noir, à l’horizontal du plafond de l’une des salles d’exposition, le «texte» des Fictions de Borges.

Une fin de matinée d’avril 2013, à Besançon, Jean-Christophe Norman dévoila les pages A4 saturées par tous les bords d’une écriture serrée d’un manuscrit encore incomplet, où le noir du feutre immobilisait toute respiration du blanc de la feuille. L’accumulation verticale de ces pages 80 gr au format normalisé, non reliées, produisait une image de feuilleté imperceptiblement mouvante, accordée à la rythmique aléatoire des lignes de noir et de blanc, laissant visible à l’œil un objet souple et indéfini, né d’un geste triple : scriptural, de recouvrement et, in fine, incidemment, sculptural. Ce qui semblait un manuscrit sans rature d’auteur, sans repentir d’artiste, mais tendu par une main concentrée sur son propre effort physique, saisie de fatigue, de lassitude, épuisée de temps, était l’une des stases de la (ré)écriture, anonyme et discrète, de l’Ulysse de Joyce, ce projet « Ulysse » conçu par l’artiste en 2012, qui prit le nom d’Ulysses, a long way et la forme, dans les années suivantes et jusqu’à aujourd’hui où il demeure toujours inachevé, d’une ligne tracée à la craie blanche sur des surfaces diverses, autant transportée que déposée dans des villes traversées du monde, et dont l’éphémère présence adhère au réel circonstanciel.

 

« D’une écriture revenue de l’écriture[2] »
En mars 2017, Jean-Christophe Norman fut invité en résidence au MAC/VAL, dans le cadre du nouvel accrochage des collections du musée d’Art contemporain de Vitry-sur-Seine. Il réalisa sur la plus haute et large surface de mur de la nef centrale une œuvre destinée à être effacée, recouverte par des couches de peinture blanche et d’autres œuvres d’autres expositions, terre à terre, (ré)écriture au feutre noir d’un texte personnel, intime, « biographique [3]» de l’artiste, publié sous le titre de Grand Mékong Hotel en 2016[4]. Ce « texte artiste » est né de Phnom Penh, d’un séjour dans cette ville capitale au bord du Mékong, et d’un lointain projet lié à Marguerite Duras, à la topographie de son appartement parisien de la rue Saint-Benoît et à Barrage contre le Pacifique. Dans ce même espace muséal de ce qui pouvait se voir comme une fresque contemporaine, à pleine saturation du mur blanc absorbé par le manuscrit d’une « main littéraire » qui écrivit et traça ces lignes phrases pendant des semaines, venait se placer, en majesté[5] fragile, sur un haut socle et sous vitrine, un livre imprimé ouvert en son milieu, dont la couverture et chaque page étaient minutieusement recouvertes au noir de l’encre et du graphite, consumé littéralement par ses matériaux constitutifs et natifs, figé dans une posture délibérément sculpturale, dans une impossibilité de lecture et une déstabilisante présence sourde du texte typographique. Il s’agissait de Cover (Ulysse) (2016-2018). Ce face-à-face du manuscrit et de l’imprimé, de la phrase et du livre, de l’expansion spatiale de la ligne écrite sur la scène murale et de son enfermement dans l’abri des pages et de la couverture du livre, voire de son enfouissement — presque archéologique —, se présentait au visiteur tel un condensé temporel d’une histoire anthropologique de l’écriture, de sa naissance à sa forme de vie moderne, à sa possible disparition par le contemporain, à son devenir souvenir, mais aussi à sa présence multiple dans ce même temps contemporain. Une mise en visuel plastique de ce que Lionel Ruffel perçut comme « une expérience de littérature exposée impressionnante[6] ». de ce que, de concert, l’on peut également envisager comme une image métaphorique de la « page noire » de littératures accumulées et d’un revenir de cette expérience pariétale de l’écriture dans le contemporain.

                     Écrire, tracer, recouvrir, marcher : les gestes simples et ordinaires de Jean-Christophe Norman au cœur de sa pratique artistique protéiforme produisent (plastiquement) du littéraire, ou plus exactement, sinon de nouveaux «objets littéraires» situés dans l’étendue de leur plasticité potentielle, dans la continuité et un renversement contemporain de la pensée poétique mallarméenne de l’« action restreinte » et de ce que doit être le livre[7], mais sans nul doute des traces, des empreintes, des « vies potentielles[8]» de littérature, où se sont dissoutes toutes limites de genre, de style et d’espace. Si Norman a fait, depuis le début des années 2000, de l’écriture, du livre, de la littérature et de la bibliothèque ses matériaux, les modelant et les remodelant, les recouvrant, les disloquant, les soumettant à des topographies et des surfaces exogènes, à des gestes répétés et répétitifs, patients et longs, épuisants, venus du dessin et de la peinture, il élargit ainsi, par ce que Jean-Christophe Bailly définissant « l’élargissement du poème[9] » et «l’ouvert » nomme « une émancipation de son matériau[10] », en l’occurrence ici celle du livre, une relation artistique à la fois libre et respectueuse tant avec le livre qu’avec la littérature. Mais le geste générique de Jean-Christophe Norman, se postant au croisement fertile de l’étymologie grecque du verbe « écrire »[11]graphein –, se situant – sans distinction – dans, avec et hors du livre, se fait également défi à la littérature, et plus spécifiquement au roman moderne. De la (ré)écriture fragmentée de l’Ulysse de Joyce à la craie blanche sur les trottoirs et chaussées de bitume de Paris à Tokyo, de Gdansk à Palerme, de Trieste à Malaga, d'Hiroshima à Grenoble, de Metz à Madrid ; de la (ré)écriture intégrale de La Recherche de Proust sur des feuilles blanches A4 piquées au mur muséal dans un accrochage frontal, sériel[12], et conceptuel, dans la lignée de l’artiste allemande Hanne Darboven[13], ou de celle du chapitre d’ouverture de La Mort de Virgile d’Herman Broch sur une bâche grand format semblable du tableau peint, Jean-Christophe Norman défie le corps écrivant comme il défie l’écriture elle-même et ce qu’elle fut dans sa structure romanesque et narrative originelle. Cette mise en danger du livre par toutes les opérations et distorsions plastiques possibles défait l’héritage moderniste de la littérature, le disperse aux quatre vents de la réalité du monde et du regard lecteur, le délie sans remords, l’épand dans un instant de visible… et lui offre, paradoxalement, de nouveaux « horizons d’attente », une forme de « revie ». Dans cette perspective, les Covers – ces livres au noir » – ou, plus récente, la série des « book scapes » – ces pages de livres ouvertes et recouvertes d’un paysage pictural, toujours presque le même, où seul varie l’intensité lumineuse de la couleur et de ses coulures – se verraient non pas comme des « tombeaux[14] », mais bien comme ces abris fragiles et délicats du texte et de sa matérialité première, à retenir, à préserver, tout en les laissant prêts à s’échapper, à circuler dans des ailleurs physiques. Encore Jean-Christophe Bailly : « L’ouvert, il faut intégralement le comprendre comme le nom générique de ce qui ne se ferme pas sur soi, de ce qui se déprend de la pulsion d’enclore, qui est encore, malgré tant d’efforts faits pour la réduire, absolument dominantes.[15] » Le geste scriptural de Jean-Christophe Norman participe de cet « ouvert », de ce « déclore ».

                    Chez Jean-Christophe Norman, il y a le choix du livre ordinaire, signe d'une technique et d'un support, d'une économie qui le font vivre ou qui l’ont fait vivre, par la feuille, par l’impression, ce « papier-machine[16] » désigné par Jacques Derrida, pour qui « la question du livre, et l’histoire du livre, ne se confond pas avec celle de l’écriture, du mode d’écriture ou des techniques d’inscription[17] », et l’artiste en prend acte par son geste, en procédant à une forme de prélèvement de l’écriture du « papier machine », pour la laisser s’échapper, circuler, disparaître. Si « la surface d’écriture est le lieu d’un avoir-lieu[18] », comme le définit Jacques Rancière à propos du blanc du poème mallarméen, alors l’œuvre de Jean-Christophe Norman, par ce prélèvement et par l’ouvert générique de son œuvre, démultiplie les lieux et les surfaces de ces avoir-lieu de l’écriture. Créant ainsi un rapport neuf à l’expérience scripturale… et à la littérature, l’artiste trace un contemporain de l’écriture. Mieux, il acte une physique contemporaine de l’écriture qui convoque à l’intérieur d’un seul geste et mouvement ses naissances, ses géographies, ses temporalités, ses survivances, ses transports, ses mélanges inédits, ses surfaces, et une forme vivante dans le présent, dans la matérialité du réel, mais non pas pour recommencer depuis quelque passé idéalisé de l’écriture ou fin inéluctable de la littérature ou d’un Absolu clos et mythique du Livre, mais pour, selon la notion formulée par Georges Didi-Huberman, dans un récent ouvrage d’entretien, « commencer encore[19] ».

Jean-Christophe Norman, Ulysses, a long way (Phnom Penh), 2015.

Le contemporain d’une scène d’écriture artiste
            « Commencer encore »… Parce que les écritures sont des dispersions et leurs lieux leurs épars. Feuille, mur, surfaces d’asphalte, écrans d’ordinateur, papier journal, bâches. Cela s’inscrit, s’affiche, s’éteint. Cela se déroule, se déplie, s’accumule, se feuillette. Dans le contemporain, l’écriture n’a plus de lieux dédiés, de lieux situés, mais dessine des géographies de savoirs nouveaux. Jean-Christophe Norman trace sa première ligne d’écriture en 2005. C’est une scansion manuscrite du temps, à la craie blanche, dans une traversée de Berlin (Crossing Berlin). Ce sera aussi une performance, Un jour une nuit (2006/2010), au cours de laquelle l’artiste, vingt-quatre durant, écrit avec le clavier de l’ordinateur le jour, le mois, l’année, l’heure, la minute, la seconde, le texte s’affichant au long sur l’écran d’un ordinateur.
        Dans le contemporain de Jean-Christophe Norman, l’épopée romanesque se défait donc pour « commencer encore», par cette ligne blanche anonyme qui court autour du monde, se dilate sous les effets d’un ouvert temporel et spatial, se délite en fragments furtifs, indéfinis à l’œil, devient adhérence au réel, et, de façon à la fois extraordinaire et modeste, au quotidien. La ligne d’écriture se métamorphose en cette chose fugitive qui déroule les récits laissés au pour-compte de leur soudaine et éphémère apparition. Ainsi l’Ulysse de Joyce se fait, dans Ulysses, a long way, «anecdote », dans le sens benjamien[20], contenant le passé narratif du roman et du livre-monument advenant soudain dans le vivant du temps présent et s’oubliant dans l’après de l’instant débordant. Une forme de rebut parmi tous les rebuts accumulés sur un trottoir, une chaussée. La littérature est là, de passage, au plus intense de sa présence et de son éphémère.
        Jean-Christophe Norman retrouve le faire de l’écriture, effaçant par le recouvrement au noir ou par la ligne l’accumulation d’indépassable de la littérature. De l’Ulysse de Joyce à La Recherche du temps perdu de Proust, de La Mort de Virgile de Broch au Quichotte de Cervantès, au Moby Dick de Melville ou d’Au cœur des ténèbres de Conrad, l’artiste place la scène de l’écriture dans l’effort physique qu’elle est pour tout écrivain, dans sa corporalité cachée, voire niée. L’écriture revient à sa place, parmi le monde humain, dans cette physique du modeste et de l’écoute des rumeurs des villes. Faire partie à part entière du réel, quotidien, précaire, ironique, pauvre, sale, beau, bafoué, inattendu, résistant… C’est ce qui relie le geste scriptural aux écrivains contemporains.

            Créant des géographies réelles, superposées, croisées, mêlées, mentales, imaginaires, élargissant jusqu’aux bords du globe les potentialités de la littérature à la fois dans, avec et hors du livre, il est intéressant d’observer que, par son geste scriptural rendu au visible de son effort corporel et manuscrit, l’artiste offre une expérience contemporaine de l’écriture et de la littérature. Alors qu’au début des années 2000, critiques et essayistes vouent la littérature à ses fins, que sa mort serait son seul et dernier horizon, voire le seul objet désormais de ses récits orphelins de la modernité romanesque, Jean-Christophe Norman entre dans le champ artistique, au même moment où une nouvelle génération de romanciers tente d’inscrire d’autres récits dans un recommencé contemporain de l’écriture : Tanguy Viel, Laurent Mauvignier, Célia Houdart, Nathalie Quintane.
Dans Après la littérature. Écrire le contemporain, le critique Johan Faerber, s’attachant à dépasser toutes les fins prononcées de la littérature au début des années 2000, analyse cette période où « l’écriture a été écrite. De fait, gestus général de l’époque et image-phénomène de notre temps, la page noire s’offre à chacun comme une histoire littéraire furieusement négative, une histoire qui ôte à l’histoire la possibilité de tout événement à pouvoir encore être[21] ».
    Concordance ou jonction épochale, Jean-Christophe Norman débute donc son travail d’écriture et de marche, alors que cette nouvelle génération d’écrivains et d’écrivaines entrent en écriture, dans la recherche d’un dépassement vital de la « page noire » et d’une phrase saturée de passés, dans lesquelles ils ne veulent pas y voir une fin, mais « le premier pas[22] » d’un « Redébut de l’écriture de notre temps lui-même[23] ». Une « écriture pneumatique[24] », animée d’une « energia contemporaine [qui] se révèle être une puissance plastique[25] », productrice de souffles, de mélanges, « de formes, de transformes, qui se métamorphosent [26] »…
            Jean-Christophe Norman, par son geste scriptural, tracerait cette voie d’un contemporain de l’écriture, qui «voudra faire toucher terre à l’écriture (…), voudra recontextualiser la littérature, en lui faisant quitter la tyrannie du livre – voudra, en forant plus avant, retrouver la démocratie du monde[27] ». Bien plus, l’artiste, créant un rapport neuf et ouvert à l’expérience scripturale et à la littérature, acte une physique contemporaine de l’écriture, qui convoque à l’intérieur d’un seul geste ses naissances, ses disparitions, ses géographies, ses temporalités, ses potentialités… et une forme vivante et furtive dans le réel, toujours, encore, commencée.
Présente ou recouverte, l’immense fresque phrasée de Jean-Christophe Norman, provisoirement inscrite et écrite sur l’un des murs blancs du MAC/VAL, s’intitule, dans tous les sens que l’on puisse lui donner, terre à terre… Lieu de nouveau disponible à l'écriture et à la littérature.


Jean-Christophe Norman, La Recherche, 2013, Frac Franche-Comté.

Jean-Christophe Norman, Ulysses, a long way (Rome), 2018.


[1] Exposition Jean-Christophe Norman : Aramram, musée Géo-Charles, Échirolles, 3 février-28 mai 2012.

[2] Johan Faerber, Après la littérature. Écrire le contemporain, Paris, Presses universitaires de France, « Perspectives critiques, 218, p. 195.

[3] En 2014, l’artiste avait donné pour titre à son exposition rétrospective au Frac Franche-Comté, Biographie. C’était également le titre d’une série nouvelle composée de tableaux de petit format, traces picturales de souvenirs de marches, de sensations de lumière, de traversées. Ce sont des formes de mobilités visuelles et chromatiques, de « petits » récits peints qu’a continuées Norman jusque dans ses dernières expositions, notamment au musée Picasso, à Paris, en juin dernier.

[4] Jean-Christophe Norman, Grand Mékong Hotel, suivi d’un entretien avec Frank Smith, De l’incidence éditeur, Saint-Vincent-de-Mercuze, 2016.

 

[5] En référence à la première phrase de l’Ulysse de Joyce en traduction française : « En majesté, dodu, Buck Mulligan émergea de l’escalier, porteur d’un bol de mousse à raser sur lequel un miroir et un rasoir reposaient en croix. » Jean-Christophe Norman pour cette Cover (Ulysse), comme d’ailleurs pour la réécriture d’Ulysses, a long way, utilise l’une des éditions de poche Folio Gallimard d’Ulysse, dans la nouvelle traduction établie en 2004 sous la direction de Jacques Aubert.

[6] Lionel Ruffel, « Histoires de l’écriture », Jean-Christophe Norman, Mundo diffuso, Nantes, Zéro2 éditions, 2019, p. 26.

[7] « (…) que tout, au monde, existe pour aboutir à un livre », affirme Mallarmé dans son célèbre texte de 1895, « Le Livre, instrument spirituel », reprenant et précisant la phrase d’un entretien qu’il eut en 1891 sur l’évolution littéraire contemporaine : « Au fond, voyez-vous, le monde est fait pour aboutir à un beau livre. » Ainsi, « d’une formule l’autre, s’indique la même et double finalité littéraire et artistique du monde : le monde comme totalité organisée contient une logique interne qui l’amène dès le commencement à se clore ou à s’accomplir en un objet littéraire. D’une formule l’autre, se manifeste aussi le même but ou la même essence de la littérature : la littérature doit relayer l’ordre du monde, transposer cet ordre, voire le transfigurer dans un univers propre fait de lettres, de pages, de fictions. D’une formule l’autre, se disent le même pouvoir et le même devoir du livre qui ne possède de chances de devenir un monde que parce que le monde était déjà un livre, mais un livre caché ou inconscient à lui-même », décrypte Pierre-Henry Frangne, « Mallarmé et le livre », De la lettre au livre, Paris, Éditions Le mot et le reste, 2010, p. 9. Dans son texte pour la monographie de Jean-Christophe Norman, Mundo diffuso, Thierry Davila démontre combien l’œuvre de l’artiste « est éminemment, voire intrinsèquement mallarméenne », op. cit., p. 22-23.

[8] Pour reprendre le titre du roman de Camille de Toledo, Vies potentielles, Paris, Seuil, « La librairie du xxie siècle », 2011. Ce récit où l’auteur du Livre de la faim et de la soif, retrouve dans les décombres d’un siècle « l’incroyable performance d’écrire ».

[9] « (…) le poème, s’il est envisagé dans sa plénitude, excède la seule question de son genre, il s’élargit, il se propage au-delà de lui-même et retrouve sa mémoire. L’idée, c’est la sortie active de l’évanescence, et avec elle la mesure de ce qu’est l’action du poème : l’élargissement ici envisagé n’a pas le sens d’un dépassement de l’action restreinte à laquelle Mallarmé borna l’ambition par ailleurs illimitée du poème, il a celui de comprendre envers quoi et dans quel monde une telle action peut s’exercer. » Jean-Christophe Bailly, L’Élargissement du poème, Paris, Christian Bourgois éditeur, « Détroits », 2015, p. 8.

[10] Jean-Christophe Bailly, op. cit., p. 9.

[11] Sur ce point, lire Thierry Davila, op. cit., p. 22-23.

[12] Cette installation murale La Recherche (2013-2014) a été présentée lors de l’exposition Biographie au Frac Franche-Comté, du 18 octobre 2014 au 25 janvier 2015.

[13] Hanne Darboven (1941-2009) avait conçu, au début des années 1970, le projet, abandonné, de réécrire à la main l’Odyssée d’Homère. Si Jean-Christophe Norman s’inscrit dans la lignée des artistes marcheurs et de la ligne, il a également été fortement marqué par le travail de l’artiste allemande avec l’écriture et les temporalités qu’elle construit avec les phrases et les mots.

[14] Dans « Transfert, continuité et différence », Klaus Spiedel s’interroge sur ce geste du recouvrement comme une possible négation de la reproductibilité du livre à l’âge de la modernité technique définie par Walter Benjamin et un revenir de l’aura : « Recouvrant le livre, Jean-Christophe Norman opère une négation, mais la question est de savoir s’il nie le contenu ou le support. (…) Le livre, en tant qu’objet culturel, serait-il voué à la disparition ? L’œuvre de Norman annoncerait-elle la fin de la reproduction technique telle que nous la connaissons, voire son dépassement par les nouvelles technologies ? (…) Le geste manuel du recouvrement s’oppose à l’art reproductible et, paradoxalement, le livre, objet reproductible, par excellence, retrouve ici son aura propre aux œuvres uniques. », catalogue de l’exposition Aramram, musée Géo-Charles, Échirolles, 2012, p. 40.

[15] Jean-Christophe Bailly, op. cit., p. 9.

[16] Jacques Derrida, « Les machines et le “sans-papiers” », Papier Machine, Paris, Éditions Galilée, 2001, p. 9.

[17] Jacques Derrida, « Le livre à venir », op. cit., p. 15.

[18] Jacques Rancière, « Le devoir du livre », Mallarmé. La politique de la sirène, Paris, Hachette Littératures, « Pluriel », 1996, p. 79.

[19] Georges Didi-Huberman, Pour commencer encore, dialogue avec Philippe Toux, Paris, Éditions Argol, 2019.

[20] « Les constructions de l’histoire sont comparables à des ordres militaires qui tourmentent et casernent la vraie vie. À l’inverse, l’anecdote est comme une révolte dans la rue. Elle nous rend les choses spatialement proches, elle les fait entrer dans notre vie. » Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle, Paris, Éditions du Cerf, 1989, p. 561.

[21] Johan Faerber, ibid., p. 80.

[22] Ibid., p. 94.

[23] Ibid., p. 94.

[24] Ibid., p. 173.

[25] Ibid., p. 173.

[26] Ibid. p. 173.

[27] Ibid., p. 196.


Jean-Christophe Norman, Terre à terre, 2017.
Installation au Mac/Val-musée d'art contemporain de Vitry-sur-Seine.

        

    Ce texte «Jean-Christophe Norman, physique contemporaine de l'écriture» est une version plus développée de l'article paru sous le même titre dans le dossier coordonné par Sally Bonn «Gestes d'écritures», dans le double numéro 477-478 d'«Artpress», mai-juin 2020.
https://www.artpress.com/2020/05/22/sommaire-du-n477-78-mai-juin-2020/


Jean-Christophe Norman, «Cover (Ulysses)», 2016-2018. Encre et graphite sur papier.




Jean-Christophe Norman, «Cover (Borges), 2020. Encre et graphite sur papier.
Courtesy Galerie C.

 

 

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