Roni Horn (untitled) à la fondation Beyeler

   Roni Horn, Th Rose Prblm, 2015/16 (Détail)
Aquarelle, encre ou crayon, gomme arabique sur papier aquarelle, ruban adhésif,
48 pièces, 58,4-74,3 x 44,5-54 cm
© mm.



Version publiée sur Artpress le 2 janvier 2017: http://www.artpress.com/2017/01/03/roni-horn-fondation-beyeler/
     À la fondation Beyeler, à Bâle, depuis le 2 octobre, tout comme ce fut également le cas à Tilburg (Pays-Bas), au De Pont Museum à l’hiver et printemps derniers (du 10 janvier au 3 mai), les deux seules expositions de cette année 2016, uniquement muséales, de Roni Horn n’ont de titre que par le nom de l’artiste américaine elle-même. Cela pourrait s’écrire ainsi : « Roni Horn : Roni Horn », ou par un « Untitled (Roni Horn) », forme d’un titre dans la désignation, dans le double paradoxal, et la perplexité d’un nom et d’un prénom, dont Horn, née en 1955, à New York, fait parfois usage pour « nommer » certaines de ses sculptures circulaires en verre coulé-moulé (Untitled (Aretha), 2002-2004), ou Untitled (Georgia), 2005). Le nom et le titre devenant chez Roni Horn des intimités closes, une brève histoire cachée, une androgynie, des entrées possible dans les identités muables de l’œuvre. En 2009-2010, pour sa rétrospective mid-career en quatre haltes curatoriales – Tate Modern, à Londres ; Collection Lambert en Avignon ; Whitney Museum of American Art, à New York ; et Institute of Contemporary Art, à Boston –, elle opta pour un Roni Horn aka Roni Horn. Ce « aka » (« also known as ») étant aussi le titre d’une série photographique datée de 2008-2009, présentée pour la première fois au Whitney Museum, et s’inscrivant dans la proximité conceptuelle et réflexive d’autres installations photographiques connues de l’artiste : You Are the Weather (1994-1996), This is Me, This is You (1998-2000), ou Portrait of an Image (with Isabelle Huppert) (2005), ou birds (1998-2007).


     
Roni Horn, a.k.a., 2008/09 (Détail)
Impression à jet d'encre sur papier chiffon, 30 photographies (15 paires),
38,1 x 33 cm chacune. Collection privée © Roni Horn.  Photo: Hermann Feldhaus. 
 
 

     Aka ouvre, en une première salle rectangulaire, l’exposition bâloise – ainsi qu’elle avait ouvert, en une longue cimaise oblique, l’exposition au De Pont Museum –, posant d’emblée la question du sujet dans la relation d’un Je et Tu, et dont l’une des propriétés puis expériences est de faire double et paire. Posant, en contrepoint, l’autre question centrale à l’œuvre chez Horn : celle du neutre, de l’impersonnel, du semblable/dissemblable, de la ressemblance et de la reconnaissance, d’un tout et de ses parties changeantes, et des identités non fixes. Installation de trente impressions à jet d’encre sur papier chiffon, l’installation aka s’articule ici en quinze paires d’images de l’artiste, de l’enfance aux âges adultes, dans un dispositif temporel a-chronologique et dans un dispositif d’accrochage minimal, à hauteur de regard. Ce « aka » est un jeu des opacités, qui fausse les normes de l’autoportrait et, par la répétition duelle, conduit à une absorption du motif original (Horn elle-même) jusqu’à l’anonyme : c’est et ce n’est pas… C’est tout et ce n’est rien… Un poème de 1861 de la poète américaine Emily Dickinson débute par ce vers, que Roni Horn utilisa comme matériau de l’une de ses sculptures des Keys and Cues (1994-1996) : « I’m Nobody ! Who are you ? ». Être personne/ou être tout, et interroger le visiteur par un « qui es-tu ? »: adresse distanciée de l’artiste à elle-même, adresse rendue et retournée au regardeur. Un « qui es-tu ? » à la fois introspectif, ironique, joueur, mélancolique et ouvert, variant, ricochant dans l’ensemble des six salles d’exposition, à travers des œuvres anciennes et des œuvres nouvelles (mais cette distinction chez Roni Horn pourrait bien avoir un caractère toujours obsolète), à travers les séries et installations dessinées (Th Rose Prblm, 2015-2016 ; Pigment Drawings, 2007-2015), photographiques (Still Water (The River Thames, for Example), 1999 ; The Selected Gifts (1974-2015), 2015-2016), sculpturales (Water Double, v.1-v.2-v.3, 2013-2016), et un ensemble de livres consacrés à l’Islande (To Place, 1990-2011), choisis et agencés dans les espaces par l’artiste et Theodora Vischer, commissaire à la fondation Beyeler.
Roni Horn, The Selected Gifts, (1974-2015), 2015-2016 (Détail)
Impression à jet d'encre sur papier Hahnemühle,
67 photographies, 33 x 33-48,3 cm (largeur variable)
Vue de l'exposition à la Fondation Beyeler .
Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de Hauser & Wirth
Photo: Stefan Altenburger.

Roni Horn, The Selected Gifts, (1974-2015), 2015-2016 (Détail) 
- Orlando (again) - The Book of Repulsive Women - The Book of Repulsive Women (again).
    
     L’exposition prend le tracé d’une circonférence, où toute œuvre procède par paires, échos et renvois – à la manière d’un index spatial –, ce qui instaure à la fois l’unicité de chacun des médiums et la nécessité de leur présence conjointe et simultanée. Ainsi le cercle curatorial se referme-t-il par la série, pour la première fois montrée, de The Selected Gifts (1974-2015), qui comprend soixante-sept images disposées en une ligne d’horizon, avec des décrochements verticaux, encerclant la salle d’exposition. Clichés pris par Horn de cadeaux qui lui furent offerts par des ami.e.s ou des connaissances, depuis les débuts de sa carrière jusqu’à aujourd’hui. Est-il important de connaître le nom de ceux et celles qui firent cadeau à Horn ? La question reste en suspens. Que le cartel laisse lire les noms de Tacita Dean, de Jürgen Teller, de Nancy Spero, de Matthew Barney, d’Anri Sala, ou de Felix Gonzalez-Torres (qui fut l’ami entre tous), cela trace une communauté artistique ; que le cadeau de chacun ou chacune dévoile leur propre « identité », elle se voit néanmoins effacée (partiellement) ou « neutralisée » par le travail photographique de Horn de détachement, d’isolement et de cadrage. Horn plie l’objet offert à son propre format, à son propre montage, et à son propre regard, tout en considérant The Selected Gifts comme un « vicarious portrait ». Une sorte d’autoportrait par autrui, induit également par la sélection à laquelle l’artiste a procédé pour réaliser cette nouvelle série. Le don de l’autre dessine donc une image double, la sienne propre, mais réabsorbée par Horn, et l’image que son don peut dire de l’image qu’il se fait de l’amie ou de ce qui peut lui être un plaisir : l’autre est un point de vue à l’infini, dans la clôture du geste hornien. Et les images d’aka reviennent ici à la mémoire du visiteur, dans leur présence concomitante à celles des Selected Gifts. Le portrait est-il bouclé ? Sans doute pas. Il est un flux d’opaque et de répétitions, ce que Roni Horn explore par deux autres nouvelles séries : celle de six blocs circulaires en verre coulé-moulé disposés dans la salle sous verrière de la fondation, Water Double (v.1, v.2, v.3), et celle de Th Rose Prblm (2015-2016), composée de quarante-huit aquarelles, à l'encre ou crayon, sur papier aquarelle, réparties en douze ensembles de quatre dessins : variations jusqu’à l’inépuisable du muable, jusqu’au cocasse verbal et son illisible aussi, du montage et remontages sans fin de deux expressions américaines singulières. Le moderniste « Rose is a rose is a rose » ou « a rose is a rose is a rose » de Gertrude Stein, et le populaire « come up smelling like roses » ou « coming up smelling like a rose ». Dans la continuité des Hack Wit, présentés en 2015 chez Hauser & Wirth (Londres) et à la Fondation Van Gogh (Arles), ce travail avec et sur le langage renvoie, entre autres, à l’appétence de Horn pour l’écriture, la littérature et la poésie. Et ce fait que des mots, des phrases, des vers, des expressions, des poèmes sont des matériaux plastiques qui troublent les syntaxes, les défient — celles-ci devenant aussi  matériau à modeler, à dessiner et à redessiner —, résorbent les limites du dessin et du langage. Rien n’est fixe. Et l’idéalisme de la transparence des choses mis en défaut.

 
Vue d'installation, Fondation Beyeler, Riehen/Basel, 2016
Water Double, v.1, 2013–15, v.2 and v.3, 2013–16 (détail)
© Roni Horn
Photo: Stefan Altenburger
      L’exposition de Bâle est un tout avec parties, mouvements et circulations, dans laquelle Roni Horn goûte le plaisir sensuel du visuel-textuel et de la complexité de l’image et de l’image de l’image, et s’en amuse, dans une partition répétée d’une expérience complexe, peut-être ici celle de l’absurde et du passage, ou peut-être dans une position/situation face au réel qui renverrait à l’héraclitéen « On ne peut entrer deux fois dans le même fleuve, car c’est une autre eau qui vient à vous ; elle se dissipe et s’amasse à nouveau ; elle cherche et abandonne, elle s’approche et s’éloigne. Nous descendons et nous ne descendons pas dans ce fleuve, nous y sommes et nous n’y sommes pas. ». Il y a quelque chose de pré-socratique chez Roni Horn...
   Roni Horn,  Still Water (The River Thames, for Example), 1999 (Détail)
15 photographies encadrées, photographies et textes imprimés sur papier naturel, 77,5 x 105,4 cm chacune.
Kunsthaus de Zurich, Collection graphique
© Roni Horn


Roni Horn, Fondation Beyeler, Bâle, du 2 octobre 2016 – 1er janvier 2017.

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