Roni Horn - Butterfly Doubt - Londres - Le doute en forme de poésie
De Londres, Savile Row.
Il faudrait, sans nul doute, toujours débuté un article sur une exposition de l’artiste américaine Roni Horn, ou sur une série de ses dessins ou de ses sculptures, ou encore de ses photographies par ce mot-là: doute... Sans nul doute, la très belle exposition qui s’est ouverte à la galerie Hauser & Wirth, à Londres, le 4 juin dernier, en contient, avec paradoxe et ironie, et une inquiétante légèreté, le mot dans son titre : Butterfly Doubt. Association de mots, jeu de mot, poésie de mots, coupure des mots, inventaire de mots et de noms. Les deux séries nouvelles présentées : Hack Wit (2013-2014) et Remembered Words (2013) engagent d’emblée le doute sur ce que sont ces «dessins sculptures», ces «mots dessins». Sorte d’image du doute lui-même, ces dessins en circonscrivent la forme et en ré-interrogent le sens, en défient la logique ou une quelconque syntaxe. De quoi ces «dessins» sont-ils le doute? Qu’est-ce que ce doute-là? Quelle en est sa matière? Mot récurrent dans les titres de Roni Horn, mot récurrent dans les critiques de l’œuvre. Ouvrir un article sur ce mot-là comme nous y invite cette exposition est moins de l’ordre d’une facilité ou d’une habitude que d’une remise en jeu constante d’une poétique et d’une politique plastique et esthétique. Une relecture et une mise en crise, sinon en trouble de la forme dessinée même. Comme toute géométrie, rectitude ou ligne. Il s'agirait alors de situer le dessin de Roni Horn comme le lieu du doute.
Il y aurait une hypothèse de lecture romantique, ou néo-romantique, de l’œuvre de Roni Horn. Ces deux importantes séries plastiques et poétiques (pour le mot comme œuvre, comme sonorité visuelle, comme image et sens d’une poétique) ouvrent vers celle-ci, par une mutabilité répétitive du fragment (qu'il soit plastique ou verbal).
Il y aurait, enfin, une lecture littéraire de l’œuvre de Roni Horn. Ce littéraire qui semble toujours anticiper le plastique, le légitimer, qui pourrait être aussi cet autre mode pour l’artiste de se situer. Dans le long entretien que Roni Horn a eu avec la critique d’art Julie Ault, en 2013, à l’occasion de l’exposition Roni Horn: Everything was sleeping as if the universe were a mistake (Barcelone, Fondation Miro), elle revient longuement sur sa relation avec la littérature, le langage et la lecture, et précise: «My relationship to reading was, in part, stimulated by my need to find another place to inhabit.» (1) Titre d’exposition qui provient d’un vers de Fernando Pessoa.
C’est un entrelacement du plastique et du verbal, une fusion fragmentée, coupée, découpée, redécoupée, assemblée, ré-assemblée du plastique et de l’écriture, qui rejoint, avec un certain détachement, les séries sculptures des «Work Dickinson» – When Dickinson Shut Her Eyes (1993-2004), Keys and Cues (1994-2003), ou White Dickinson (2006-2008) –, dans une même empathie avec le langage, dans une même exploration du Je et de ses reflets, de ses vibrations, de ses matérialités, de ses abstractions, de ses renvois dans des miroirs variants et immuables. Ces deux séries seraient aussi, sans nul doute, les facettes d’un autoportrait toujours intérieur, toujours solitaire, et rétrospective, mais qui aurait accepté d’être sans centralité, d’être out of center ou out of place, en référence à cet ensemble de livres To Place, par lesquels Roni Horn faisait de l’Islande «son» centre – «Big enough to get lost on. Small enough to find yourself. That’s how to use this island. I come here to place myself in the world. Iceland is a verb and its action is to center», Island and Labyrinth, Pooling Waters, 2, in To Place, 1994. Un autoportrait comme récit de soi et invention de soi, un autoportrait à la fois inventaire et au présent de formes vibratiles. Et la recherche d’un lieu où se situer, puis à habiter. L'espace géographique et naturel qu’elle épuise, l’espace littéraire qu’elle dessine et interroge dans toutes ces correspondances.
Ce serait également des «dessins manuscrits», des dessins non seulement porteurs d'un texte et d'une image poétiques, mais des dessins qui recoudraient l’origine manuscrite de l’écriture, du dessin même de l’écriture, sa plasticité. Nous pourrions pointer une nouvelle fois encore une correspondance avec Dickinson, avec notamment ces manuscrits des poèmes de la poète américaine qui nous sont parvenus (2). Ces poèmes écrits sur des morceaux d'enveloppes, des bouts de papier, des billets, une écriture manuscrite qui habite, sature l'espace surface du papier, le fait vriller et vibrer.
Roni Horn, Remembered Words - (Milk) - 2013 -
gouache, aquarelle, graphite et gomme arabique sur papier.
gouache, aquarelle, graphite et gomme arabique sur papier.
- Roni Horn, Butterfly Doubt, Hauser & Wirth Gallery, 23 Savile Row, London. Jusqu’au 25 juillet 2015.
http://www.hauserwirth.com/exhibitions/2480/roni-horn-butterfly-doubt/view/
ill.: Roni Horn, Hack Wit - airy dead, 2014. Aquarelle, stylo et encre, gomme arabique sur papier aquarelle, ruban adhésif.
© marjorie micucci
(1) Roni Horn: Everything was sleeping as if the universe were a mistake, with a contribution by Julie Ault, Fondacio Joan Moro and «La Caixa» Foundation, in collaboration with Turner Libros, 2014.
(2) Susan Howe, The Gorgeous Nothings: Emily Dickinson’s Envelope Poems, New Directions, 2013.
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