Istvan Peto, l'atelier retrouvé
Les jours gris soyeux. Les jours d'or pâle. Les après-midi de pluies blanches – Aux abords du crépuscule d'une banlieue de l'île-de-France où les nuages cumulus se gorgent de la palette picturale des vifs et des ornements, des ombres et des écarts, des vides frémissants, des entre couleurs, des ultimes rouges des éclats d'un soleil pensif à ras des toits, à l'effleurement des tours cités de la ville...
Dans l'atelier, le peintre travaille. Le corps tendu. Le corps ciselé. Le corps désuni des douleurs. Il y a peu de temps de suspension dans le travail d'Istvan Peto. Dans ce travail, un jour de la fin des années quatre-vingts surgi, timide et si immédiatement reconnu par l'œil. Abstractions et fluidités. Les formes sont aujourd'hui à l'arrêt sur la toile brute, attendent dans des plis de calme et d'inquiétude. Mélanges et provisoires abandons. Que seront ces formes? Traits épais, noirs, lignes veloutes, striées, regorgements d'orange et de bruns massifs, échappées des bleus par degré de nuances, coulures libres des jaunes.
Dans l'atelier, ce dimanche de mai, trois toiles patientaient. Une reprise du travail. Un temps coulé - Un moment rivière. Tout était exercice de présence de la matière. Des études sur carnet, ouvert, offert, s'unissaient au sol empreintes des peintures antérieures, les pots de pigments se concertaient dans un patient désordre. Dans l'atelier, ce jour-là, la voix rapide, le geste long d'Istvan Peto poursuivaient ce dialogue des formes, des blancs, des inachevés, des reprises, des recouvrements, des reprises, des refus, des non abdications, des gravures mauves, des gravures textes, des arbres désolés, des écritures graphes, des aplats ironiques... Des histoires venaient à la bouche. Seul le silence attentif pouvait servir de grammaire. Seul le regard plein pouvait embrasser l'immense d'une exigence, l'aplomb d'une constance, la réserve d'une violence secrète, l'intimité d'une rigueur...
Et, cette après-midi-là, une lointaine visite à l'atelier est revenue à la mémoire, par trace, par tache... Il y eut quelques lignes qui déployaient les permanences et les tremblements: «Plongées tendues dans les toiles en attente du geste arabesques d'Istvan Peto. Un corps peintre ou un corps peinture dans une fusion avec la matière picturale, avec les couleurs, avec les formes qui se cherchent, se touchent, s'opposent, se correspondent. Tableaux, gouaches, gravures, aquarelles (parfois), Istvan Peto englobe les gestes et les techniques de ses recherches de formes et obstinément présentes. Il y a toujours dans un coin caché de l'atelier d'Istvan Peto l'appel d'une forme, massive ou élégante, l'appel d'un bleu ou d'un vert clair, d'un ocre pâle ou d'un rouge provocant, où l'œil s'étonne, s'arrête, se désoriente, s'emplit. Longtemps après, la sensation obsède l'œil.» - Janvier-février 2006.
Longtemps après, encore...
Et, cette après-midi-là, le premier texte est revenu, telle une survivance des rencontres passées. Présent inchangé dans cette revenue des temps – Présent retrouvé dans l'atelier du peintre...
«D'abord, il y a la texture, brute, de la toile de
chanvre, au tissage serré et rugueux, nue de la matière picturale, nue des
masses et des vides, du possible des formes à naître, à explorer. La toile
respire la nudité, repousse l'éblouissement facile. Istvan Peto commence là,
dans cette rugosité de la toile, dans cette ingratitude de la surface, et le
désir encore retenu de la peinture, de la couleur palpite.
Après, il y a la mise en place, énigmatique, du trait
premier, parfois une phrase, une équation, juste graphiques, fascinantes dans
leur équivoque, leur incompréhension du sens; après encore, il y a la mise en
place, structurée, couche après couche, de la masse picturale étalée, effacée,
reprise, fixée, une masse picturale qui parfois sature la toile, l'emplit
presque à l’excès de couleurs entremêlées, qui parfois n'est qu'un voile doux
apposé, qui parfois s'accorde des béances vierges. Et puis, encore après, il y
a vous, moi, l'œil qui saisit la toile achevée dans un éblouissement tendu,
plein, dans une captation irrésistible. Et l'œil s'efforce, attiré, séduit et
perdu, plongé dans les bleus si denses même dans leur possible disparition, des
bleus infinis, des bleus déclinés au fil des années dans leur multitude connue
et inconnue: Istvan Peto donne naissance à la peinture dans des conjugaisons
nouvelles et répétées, tout comme il décline et conjugue la douceur et la
violence du trait en un même geste brut. Perdu dans les bleus outremer, les
bleus émeraude, les bleus marine, les bleus nuit, les bleus eau, l'œil soudain
se trouble d'un rose transparent, d'ocres qui rejoignent le blanc structurant d'autres
formes abstraites, mais si expressives dans l'émotion sensitive qu'elles
engagent; puis un jour, l'œil, brutalement, doit conquérir des rouges sans
pudeur, des orangés imposants, des rouilles âcres. Où est la douceur
originelle?
Istvan Peto déconcerte dans l'infinie reconnaissance de son
trait et des brisures inattendues des vibrations de couleurs. On le dit
douceur, et il devient violence, trace noire vigoureuse comme un jet
conflictuel à même les fibres impures de la toile. On le dit saturé d'une couleur,
et il devient raréfaction de la couleur. On le dit trait fragile, trait mince,
et il devient composition puissante, affirmation face à notre regard qui
cède.» - mars 2002.
Istvan Peto est né en 1955 en Hongrie. Il vit et travaille à Saint-Denishttp://peto-art.com/
depuis la fin des années 1980. Peintre, il est également graveur.
© Photos Marjorie Micucci, mai 2013.
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