Roni Horn - Drawings 1984-2012: How – to – place the landscape when (if) I'm inside of it?
Drawing as island – so as Iceland –
Le dessin comme césure.
Roni Horn, «Through 6», 2007.
Pigment and varnish on paper,
251.5 x 241.3 cm.
© Stefan Altenburger Photography Zürich
Courtesy: Private collection, France and Xavier Hufkens, Brussels .
«Ticket N° 1 - To see a landscape as it is when I'm not there», 1989-1990 -
Collection Tate, London. (© Roni horn, courtesy Hauser & Wirth, London).
En 1989-1990, Roni Horn produit une sculpture plane, rectangulaire, comme une feuille de papier, posée à l'horizontal sur le sol de l'espace d'exposition, d'une matérialité d'aluminium gris blanc, aux miroitements vacillants, où s'inclut en profondeur et en ses bords une phrase aux lettres typographiques noires, tirée de «La Pesanteur et la Grâce» de la philosophe Simone Weil: «To see a landscape as it is when I'm not there». Dans un déplacement rétrospectif, de ses premiers dessins datés de 1984 jusqu'aux grands formats au pigment et vernis de 2012 – «Such, 3» et «Such, 4» – et inversement dans ses déplacements spatiaux et temporels qu'accomplit le regardeur –, l'exposition des «Selected Drawings 1984-2012» à la galerie Xavier Hufkens, à Bruxelles (25 octobre-24 novembre 2012), induit et réactive cette interrogation de la présence et de l'événement du paysage, de la présence dans le paysage ou/et de la distance pour faire paysage, pour devenir paysage. Et interroge toujours celui ou celle qui, soudain – comme un nouvel et autre événement dans le réel –, devient regardeur.
De la distance, parce qu'il y a une impossibilité physique du corps et du regard à se placer face/devant - près/loin du dessin. Le dessin joue du corps du regardeur (inversement, comme une chorégraphie du déplacement), et se joue constamment de ce corps, tout en ne lui imposant aucune posture. De la distance, parce qu'il y cette impossibilité visuelle et corporelle à saisir ce qui se produit partout dans toutes les parts du dessin. Tout est présent dans le dessin de Roni Horn, tout est visible, mais tout ne peut se voir que dans une mouvance multiple qui laisse cette superbe ouverture et seule énigme à ce «que se passe-t-il quand je ne suis pas là».
D'où ces interrogations qui échappent et redoublent, perplexités irrésolues, incertitudes généreuses: dans quelle part du visible nous plaçons-nous? dans quelle part de la rencontre nous situons-nous? dans quelle part du dessin? dans quelle part de vide? dans quelle part de ligne? dans quelle part des écarts? dans quelle part d'événement? Et dans quelle part de récits?
Emily Dickinson – F106, (Édition Franklin) –
«Our share of night to bear –
Our share of morning –
Our blank in bliss to fill,
Our blank in scorning –
Here a star, and there a star,
Some lose their way!
Here a mist – and there a mist –
Afterwards – Day!»
Le dessin de Horn est pour le regardeur tel ce poème de Dickinson, cette part de moments, cet égarement ouvert et tendu, ce déplacement complexe, courbe et interrogatif vers le/et à l'intérieur du sensible. Et, ainsi, nous revient cette seule énigme du visible, dans quelle part de celui-ci nous situons-nous pour voir et percevoir? Et qu'est-ce que regarder ce dessin, part d'écarts et de matérialité, d'ondes obliques et de glissements sans failles? Qu'est-ce que regarder – ou observer – la présence d'une forme lorsqu'une autre forme appelle encore le regard, pour lui reprendre son absence aléatoire?
«Line as encounter - or perhaps as event too»
Entailles au long des rencontres de récits plastiques.
«Through 6», 2007.
Une légende kantienne pour ces traversées du dessin
qui dédouble la faculté de perplexité ou de doute:
«S'orienter signifie au sens propre du mot: à partir d'une région donnée du ciel (nous divisons l'horizon en quatre régions) trouver les autres, notamment le levant. Si je vois le soleil dans le ciel et si je sais qu'il est à présent midi, je sais trouver le sud, l'ouest, le nord et l'est. J'ai constamment besoin, à cet effet, du sentiment d'une différence subjective, à savoir celle de ma droite et de ma gauche. Je l'appelle un sentiment, parce que c'est deux côtés ne manifestent pas apparemment dans l'intuition, de différence notable. Si, en traçant un cercle, sans qu'il soit besoin d'y faire une différenciation quelconque des objets, je n'avais cette faculté de différencier le mouvement de la gauche vers la droite du mouvement inverse et de déterminer ainsi a priori une différenciation dans la situation des objets, je ne saurais pas si je dois situer l'ouest à droite ou à gauche du point sud de l'horizon et achever ainsi le cercle en passant par le nord et l'ouest pour revenir au sud. Je ne m'oriente donc géographiquement malgré tous les data objectifs du ciel que par un principe de différenciation subjectif, et si un jour, toutes les constellations conservaient, par un miracle, la même configuration et la même position relative, à ceci près qu'elles seraient maintenant orientées vers l'ouest et non plus vers l'est, aucun œil humain ne remarquerait le moindre changement dans la nuit étoilée suivante et même l'astronome, s'il ne prêtait attention qu'à ce qu'il voit et non, en même temps, à ce qu'il sent, serait inévitablement désorienté. Mais la faculté de différencier au moyen du sentiment de sa droite et de sa gauche, disposition certes naturelle mais devenue familière par un exercice fréquent, va lui venir tout naturellement en aide ; et il pourra, s'il pose son œil sur l'étoile polaire, non seulement remarquer le changement intervenu mais aussi s'orienter en dépit de celui-ci.» Kant, «Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée», octobre 1786. (traduction de Jean-François Poirier et Françoise Proust, «Que signifie s'orienter dans la pensée? Édition Flammarion)
Que se produit-il formellement dans les entre? Que sont ces mots, marque, présent d'un événement? Cette histoire intime, histoire intérieure, cette histoire dense où l'artiste s'immerge dans son propre dessin. Autoportrait(s).
Une perspective des dessins premiers: une, double avec écart, distance autour, matérialité des formes, souvenirs naturels d'un séjour solitaire au sud-ouest de l'Islande, un phare (the lighthouse), le lieu de solitude (d'aucuns y ont vu une lignée avec la tour de Montaigne ou la cabane de Thoreau, nous pourrions oser, à l'extrême de l'enfermement poétique la tour de Holderling à Tübingen; nous serions assurément plus juste avec la maison familiale et la promenade quotidienne d'Emily Dickinson, chez elle, à Amherst), la récolte des formes, la constitution de la bibliothèque des formes.
«Roni Horn Selected Drawings 1984-2012» - 11 juin 2012-14 juillet 2012. Galerei Hauser & Wirth Zürich, Löwenbraü.
http://www.hauserwirth.com/exhibitions/1412/roni-horn-selected-drawings-1984-y-2012/view/
«Roni Horn Selected Drawings 1984-2012» - 25 octobre- 24 novembre 2012. Galerie Xavier Xufkens, Brussels.
http://www.xavierhufkens.com/exhibitions/
«Roni Horn» - Goetz Collection - Munich - 3 décembre 2012 - 31 août 2013.
Sammlung Goetz -
http://www.sammlung-goetz.de/en/Exhibitions/upcoming/Roni_Horn.htm
Le dessin comme césure.
Roni Horn, «Through 6», 2007.
Pigment and varnish on paper,
251.5 x 241.3 cm.
© Stefan Altenburger Photography Zürich
Courtesy: Private collection, France and Xavier Hufkens, Brussels .
«Ticket N° 1 - To see a landscape as it is when I'm not there», 1989-1990 -
Collection Tate, London. (© Roni horn, courtesy Hauser & Wirth, London).
En 1989-1990, Roni Horn produit une sculpture plane, rectangulaire, comme une feuille de papier, posée à l'horizontal sur le sol de l'espace d'exposition, d'une matérialité d'aluminium gris blanc, aux miroitements vacillants, où s'inclut en profondeur et en ses bords une phrase aux lettres typographiques noires, tirée de «La Pesanteur et la Grâce» de la philosophe Simone Weil: «To see a landscape as it is when I'm not there». Dans un déplacement rétrospectif, de ses premiers dessins datés de 1984 jusqu'aux grands formats au pigment et vernis de 2012 – «Such, 3» et «Such, 4» – et inversement dans ses déplacements spatiaux et temporels qu'accomplit le regardeur –, l'exposition des «Selected Drawings 1984-2012» à la galerie Xavier Hufkens, à Bruxelles (25 octobre-24 novembre 2012), induit et réactive cette interrogation de la présence et de l'événement du paysage, de la présence dans le paysage ou/et de la distance pour faire paysage, pour devenir paysage. Et interroge toujours celui ou celle qui, soudain – comme un nouvel et autre événement dans le réel –, devient regardeur.
De la distance, parce qu'il y a une impossibilité physique du corps et du regard à se placer face/devant - près/loin du dessin. Le dessin joue du corps du regardeur (inversement, comme une chorégraphie du déplacement), et se joue constamment de ce corps, tout en ne lui imposant aucune posture. De la distance, parce qu'il y cette impossibilité visuelle et corporelle à saisir ce qui se produit partout dans toutes les parts du dessin. Tout est présent dans le dessin de Roni Horn, tout est visible, mais tout ne peut se voir que dans une mouvance multiple qui laisse cette superbe ouverture et seule énigme à ce «que se passe-t-il quand je ne suis pas là».
D'où ces interrogations qui échappent et redoublent, perplexités irrésolues, incertitudes généreuses: dans quelle part du visible nous plaçons-nous? dans quelle part de la rencontre nous situons-nous? dans quelle part du dessin? dans quelle part de vide? dans quelle part de ligne? dans quelle part des écarts? dans quelle part d'événement? Et dans quelle part de récits?
Emily Dickinson – F106, (Édition Franklin) –
«Our share of night to bear –
Our share of morning –
Our blank in bliss to fill,
Our blank in scorning –
Here a star, and there a star,
Some lose their way!
Here a mist – and there a mist –
Afterwards – Day!»
Le dessin de Horn est pour le regardeur tel ce poème de Dickinson, cette part de moments, cet égarement ouvert et tendu, ce déplacement complexe, courbe et interrogatif vers le/et à l'intérieur du sensible. Et, ainsi, nous revient cette seule énigme du visible, dans quelle part de celui-ci nous situons-nous pour voir et percevoir? Et qu'est-ce que regarder ce dessin, part d'écarts et de matérialité, d'ondes obliques et de glissements sans failles? Qu'est-ce que regarder – ou observer – la présence d'une forme lorsqu'une autre forme appelle encore le regard, pour lui reprendre son absence aléatoire?
«Line as encounter» -
Roni Horn, «Through 6», 2007 - Détails -
pigments bleus vernis, feuille Arches - coupes et incises - jointures et bords.
Une grammaire visuelle d'un paysage. D'une géographie intérieure et ouverte.
Dé-centrement ou peut-être une notion d'«acentrement» des zones formelles
- parcelles syntaxiques, césures souffles du regard, configurations narratives
où la matière d'un pigment, sa «forme brève»,
son épaisseur, sa nuance stratifiée de couleurs, où l'incise d'une coupe,
la ponctuation d'une quotation, d'un mot, d'un prénom, déplient un récit,
dans ses superpositions, ses reprises, ses répétitions, ses fines trouées entre les coupes, les arrêts,
les traverses, ses lancées graphiques créées par l'entaille sur la planche.
Préposition, adverbe, pronom, adjectif, tirets sont ces éléments qui viennent faire et détisser la phrase, qui lient et détournent le récit, infléchissent les certitudes abruptes du substantif, les injonctions dominantes du verbe. Sur la planche, les coupes de papier, les mots inclus au trait disloquent et renouent un récit hornien, qui procèderait par degrés de sens et d'histoires, reprises, répétées, à peine déplacées.
«Line as encounter - or perhaps as event too»
Entailles au long des rencontres de récits plastiques.
«Through 6», 2007.
Une légende kantienne pour ces traversées du dessin
qui dédouble la faculté de perplexité ou de doute:
«S'orienter signifie au sens propre du mot: à partir d'une région donnée du ciel (nous divisons l'horizon en quatre régions) trouver les autres, notamment le levant. Si je vois le soleil dans le ciel et si je sais qu'il est à présent midi, je sais trouver le sud, l'ouest, le nord et l'est. J'ai constamment besoin, à cet effet, du sentiment d'une différence subjective, à savoir celle de ma droite et de ma gauche. Je l'appelle un sentiment, parce que c'est deux côtés ne manifestent pas apparemment dans l'intuition, de différence notable. Si, en traçant un cercle, sans qu'il soit besoin d'y faire une différenciation quelconque des objets, je n'avais cette faculté de différencier le mouvement de la gauche vers la droite du mouvement inverse et de déterminer ainsi a priori une différenciation dans la situation des objets, je ne saurais pas si je dois situer l'ouest à droite ou à gauche du point sud de l'horizon et achever ainsi le cercle en passant par le nord et l'ouest pour revenir au sud. Je ne m'oriente donc géographiquement malgré tous les data objectifs du ciel que par un principe de différenciation subjectif, et si un jour, toutes les constellations conservaient, par un miracle, la même configuration et la même position relative, à ceci près qu'elles seraient maintenant orientées vers l'ouest et non plus vers l'est, aucun œil humain ne remarquerait le moindre changement dans la nuit étoilée suivante et même l'astronome, s'il ne prêtait attention qu'à ce qu'il voit et non, en même temps, à ce qu'il sent, serait inévitablement désorienté. Mais la faculté de différencier au moyen du sentiment de sa droite et de sa gauche, disposition certes naturelle mais devenue familière par un exercice fréquent, va lui venir tout naturellement en aide ; et il pourra, s'il pose son œil sur l'étoile polaire, non seulement remarquer le changement intervenu mais aussi s'orienter en dépit de celui-ci.» Kant, «Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée», octobre 1786. (traduction de Jean-François Poirier et Françoise Proust, «Que signifie s'orienter dans la pensée? Édition Flammarion)
«Else 11», 2010 - Détails - Les interstices des écarts sont reprises
des éléments narratifs et formels.
Que se produit-il formellement dans les entre? Que sont ces mots, marque, présent d'un événement? Cette histoire intime, histoire intérieure, cette histoire dense où l'artiste s'immerge dans son propre dessin. Autoportrait(s).
De la perspective: «Else 11», 2010 - «Through 6», 2007 - «Such 3», 2012 -
«Such 4», 2012. Galerie Xavier Xufkens, Brussels -
© Galerie Xavier Xufkens, Brussels.
Une perspective des dessins premiers: une, double avec écart, distance autour, matérialité des formes, souvenirs naturels d'un séjour solitaire au sud-ouest de l'Islande, un phare (the lighthouse), le lieu de solitude (d'aucuns y ont vu une lignée avec la tour de Montaigne ou la cabane de Thoreau, nous pourrions oser, à l'extrême de l'enfermement poétique la tour de Holderling à Tübingen; nous serions assurément plus juste avec la maison familiale et la promenade quotidienne d'Emily Dickinson, chez elle, à Amherst), la récolte des formes, la constitution de la bibliothèque des formes.
http://www.hauserwirth.com/exhibitions/1412/roni-horn-selected-drawings-1984-y-2012/view/
«Roni Horn Selected Drawings 1984-2012» - 25 octobre- 24 novembre 2012. Galerie Xavier Xufkens, Brussels.
http://www.xavierhufkens.com/exhibitions/
«Roni Horn» - Goetz Collection - Munich - 3 décembre 2012 - 31 août 2013.
Sammlung Goetz -
http://www.sammlung-goetz.de/en/Exhibitions/upcoming/Roni_Horn.htm
Commentaires
Enregistrer un commentaire